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HISTOIRE
DES VOYAGES
DE SCARMENTADO
ÉCRITE PAR LUI-MÊME


(1756)




Je naquis dans la ville de Candie, en 1600. Mon père en était gouverneur ; et je me souviens qu’un poëte médiocre, qui n’était pas médiocrement dur, nommé Iro[1], fit de mauvais vers à ma louange, dans lesquels il me faisait descendre de Minos en droite ligne ; mais mon père ayant été disgracié, il fit d’autres vers où je ne descendais plus que de Pasiphaé et de son amant. C’était un bien méchant homme que cet Iro, et le plus ennuyeux coquin qui fût dans l’île.

Mon père m’envoya, à l’âge de quinze ans, étudier à Rome. J’arrivai dans l’espérance d’apprendre toutes les vérités ; car jusque-là on m’avait enseigné tout le contraire, selon l’usage de ce bas monde, depuis la Chine jusqu’aux Alpes. Monsignor Profondo, à qui j’étais recommandé, était un homme singulier, et un des plus terribles savants qu’il y eût au monde. Il voulut m’apprendre les catégories d’Aristote, et fut sur le point de me mettre dans la catégorie de ses mignons : je l’échappai belle. Je vis des processions, des exorcismes, et quelques rapines. On disait, mais très-faussement, que la signora Olimpia[2], personne

  1. Anagramme de Roi, poëte né avec des talents, que son penchant pour la satire, les aventures qui en furent la suite, sa jalousie contre les hommes de la littérature qui leur étaient supérieurs, avilirent et rendirent malheureux. Le ballet des Éléments et l’opéra de Callirhoé sont les seuls de ses ouvrages qui lui aient survécu : ils moururent vieux, et avait fini par se faire dévot. (K.)
  2. Belle-sœur d’Innocent X.