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CANDIDE
OU
L’OPTIMISME
TRADUIT DE L’ALLEMAND
DE M. LE DOCTEUR RALPH


AVEC LES ADDITIONS QU’ON A TROUVÉES DANS LA POCHE DU DOCTEUR, LORSQU’IL MOURUT À MINDEN, L’AN DE GRÂCE 1759.


(1759)



CHAPITRE I.
COMMENT CANDIDE FUT ÉLEVÉ DANS UN BEAU CHÂTEAU, ET COMMENT IL FUT CHASSÉ D’ICELUI.


Il y avait en Vestphalie, dans le château de M. le baron de Thunder-ten-tronckh, un jeune garçon à qui la nature avait donné les mœurs les plus douces. Sa physionomie annonçait son âme. Il avait le jugement assez droit, avec l’esprit le plus simple ; c’est, je crois, pour cette raison qu’on le nommait Candide. Les anciens domestiques de la maison soupçonnaient qu’il était fils de la sœur de monsieur le baron et d’un bon et honnête gentilhomme du voisinage, que cette demoiselle ne voulut jamais épouser parce qu’il n’avait pu prouver que soixante et onze quartiers[1], et que le reste de son arbre généalogique avait été perdu par l’injure du temps.

  1. Quartier signifie chaque degré d’ordre et de succession des descendants. En France, un homme était réputé de bonne noblesse quand il prouvait quatre quartiers du côté du père et autant du côté de la mère. En Allemagne, il fallait faire preuve de seize quartiers, tant du côté paternel que du côté maternel, c’est-à-dire avoir cinq cents ans de noblesse environ. Aussi les nobles allemands prenaient-ils bien garde de se mésallier. (G. A.)