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ROMANS


LE
MONDE COMME IL VA
VISION DE BABOUC[1]
(1746)


I. Parmi les génies qui président aux empires du monde, Ituriel tient un des premiers rangs, et il a le département de la haute Asie. Il descendit un matin dans la demeure du Scythe Babouc, sur le rivage de l’Oxus, et lui dit : « Babouc, les folies et les excès des Perses ont attiré notre colère : il s’est tenu hier une assemblée des génies de la haute Asie pour savoir si on châtierait Persépolis, ou si on la détruirait. Va dans cette ville, examine tout ; tu reviendras m’en rendre un compte fidèle, et je me déterminerai, sur ton rapport, à corriger la ville ou à l’exterminer. — Mais, seigneur, dit humblement Babouc, je n’ai jamais été en Perse ; je n’y connais personne. — Tant mieux, dit l’ange, tu ne seras point partial ; tu as reçu du Ciel le discernement[2] et j’y ajoute le don d’inspirer la confiance ; marche, regarde, écoute, observe, et ne crains rien ; tu seras partout bien reçu. »

  1. « Les nuits blanches de Sceaux, lit-on dans la dernière des notes sur les Souvenirs de madame de Caylus, étaient des fêtes que donnaient à la duchesse du Maine tous ceux qui avaient l’honneur de vivre avec elle. On faisait une loterie des vingt-quatre lettres de l’alphabet ; celui qui tirait le C donnait une comédie, l’O exigeait un petit opéra, le B un ballet ; » et la lettre N, selon Decroix, imposait une nouvelle. C’est pour obéir à ces arrêts du sort que Voltaire écrivit Babouc, le Crocheteur borgne, et Cosi-Sancta.
  2. L’édition de 1750, dont Beuchot a parlé dans son Avertissement, porte de plus ces mots : « C’est un assez beau présent. »