Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/351

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et vous avez cent mille livres de rente ! Vous en rendez donc cinquante mille au nouveau gouvernement ? — Dieu nous préserve de payer une obole ! Le seul produit de la terre cultivée par des mains laborieuses, endurcies de calus et mouillées de larmes, doit des tributs à la puissance législatrice et exécutrice. Les aumônes qu’on nous a données nous ont mis en état de faire bâtir ces maisons, dont nous tirons cent mille livres par an ; mais ces aumônes venant des fruits de la terre, ayant déjà payé le tribut, elles ne doivent pas payer deux fois : elles ont sanctifié les fidèles qui se sont appauvris en nous enrichissant, et nous continuons à demander l’aumône et à mettre à contribution le faubourg Saint-Germain pour sanctifier encore les fidèles. » Ayant dit ces mots, le carme me ferma la porte au nez[1].

Je passai par-devant l’hôtel des mousquetaires gris ; je contai la chose à un de ces messieurs : ils me donnèrent un bon dîner et un écu. L’un d’eux proposa d’aller brûler le couvent ; mais un mousquetaire plus sage lui remontra que le temps n’était pas encore venu, et le pria d’attendre encore deux ou trois ans.


IV. — AUDIENCE DE M. LE CONTRÔLEUR GÉNÉRAL.


J’allai, avec mon écu, présenter un placet à M. le contrôleur général, qui donnait audience ce jour-là.

Son antichambre était remplie de gens de toute espèce. Il y avait surtout des visages encore plus pleins, des ventres plus rebondis, des mines plus fières que mon homme aux huit millions. Je n’osais m’approcher ; je les voyais, et ils ne me voyaient pas.

Un moine, gros décimateur, avait intenté un procès à des citoyens qu’il appelait ses paysans. Il avait déjà plus de revenu que la moitié de ses paroissiens ensemble, et de plus il était seigneur de fief. Il prétendait que ses vassaux, ayant converti avec des peines extrêmes leurs bruyères en vignes, ils lui devaient la dixième partie de leur vin, ce qui faisait, en comptant le prix du travail et des échalas, et des futailles, et du cellier, plus du quart

  1. L’ouvrage que M. de Voltaire avait le plus en vue est intitulé Considérations sur l’ordre essentiel et naturel des sociétés politiques. On y trouve plusieurs questions importantes, analysées avec beaucoup de sagacité et de profondeur. L’auteur y prouve que les maisons, ne rapportant aucun produit réel, ne doivent point payer d’impôts ; que l’on doit regarder le loyer qu’elles rapportent comme l’intérêt du capital qu’elles représentent, et que, si on les exemptait des impôts auxquels elles sont assujetties, les loyers diminueraient à proportion. (K.)