Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/403

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donnait des baisers, il les rendait, et la regardait ensuite avec des yeux attendris. Il recevait d’elle des biscuits et des pistaches, qu’il prenait de sa patte purpurine et argentée, et qu’il portait à son bec avec des grâces inexprimables.

Bélus, qui avait considéré les diamants avec attention, jugeait qu’une de ses provinces pouvait à peine payer un présent si riche. Il ordonna qu’on préparât pour l’inconnu des dons encore plus magnifiques que ceux qui étaient destinés aux trois monarques. « Ce jeune homme, disait-il, est sans doute le fils du roi de la Chine, ou de cette partie du monde qu’on nomme Europe, dont j’ai entendu parler, ou de l’Afrique, qui est, dit on, voisine du royaume d’Égypte. »

Il envoya sur-le-champ son grand écuyer complimenter l’inconnu, et lui demander s’il était souverain ou fils de souverain d’un de ces empires, et pourquoi, possédant de si étonnants trésors, il était venu avec un valet et un petit sac.

Tandis que le grand écuyer avançait vers l’amphithéâtre pour s’acquitter de sa commission, arriva un autre valet sur une licorne. Ce valet, adressant la parole au jeune homme, lui dit : « Ormar, votre père touche à l’extrémité de sa vie, et je suis venu vous en avertir. » L’inconnu leva les yeux au ciel, versa des larmes, et ne répondit que par ce mot : « Partons. »

Le grand écuyer, après avoir fait les compliments de Bélus au vainqueur du lion, au donneur des quarante diamants, au maître du bel oiseau, demanda au valet de quel royaume était souverain le père de ce jeune héros. Le valet répondit : « Son père est un vieux berger qui est fort aimé dans le canton. »

Pendant ce court entretien l’inconnu était déjà monté sur sa licorne. Il dit au grand écuyer : « Seigneur, daignez me mettre aux pieds de Bélus et de sa fille. J’ose la supplier d’avoir grand soin de l’oiseau que je lui laisse : il est unique comme elle. » En achevant ces mots il partit comme un éclair ; les deux valets le suivirent, et on le perdit de vue.

Formosante ne put s’empêcher de jeter un grand cri. L’oiseau, se retournant vers l’amphithéâtre où son maître avait été assis, parut très-affligé de ne le plus voir. Puis regardant fixement la princesse, et frottant doucement sa belle main de son bec, il sembla se vouer à son service.

Bélus, plus étonné que jamais, apprenant que ce jeune homme si extraordinaire était le fils d’un berger, ne put le croire. Il fit courir après lui ; mais bientôt on lui rapporta que les licornes sur lesquelles ces trois hommes couraient ne pouvaient être