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LA PRINCESSE DE BABYLONE.

des biscuits meilleurs que ceux de Babylone, des poncires, des ananas, des cocos, des pistaches, et du vin d’Éden, qui l’emporte sur le vin de Chiras autant que celui de Chiras est au-dessus de celui de Surenne[1].

Le canapé était aussi léger que commode et solide. Les deux griffons arrivèrent dans Éden à point nommé. Formosante et Irla se placèrent dans la voiture. Les deux griffons l’enlevèrent comme une plume. Le phénix tantôt volait auprès, tantôt se perchait sur le dossier. Les deux griffons cinglèrent vers le Gange avec la rapidité d’une flèche qui fend les airs. On ne se reposait que la nuit pendant quelques moments pour manger, et pour faire boire un coup aux deux voituriers.


CHAPITRE X.

FORMOSANTE ARRIVE CHEZ LES GANGARIDES, ET DESCEND À L’HÔTEL D’AMAZAN. BELLE COLLATION QU’ON LUI SERT. ELLE VISITE LA MÈRE DE SON AMANT. CONVERSATION QU’ELLES ONT ENSEMBLE. UN MERLE S’EN MÊLE AUSSI, ET CONTE L’HISTOIRE DE SES VOYAGES.


On arriva enfin chez les Gangarides. Le cœur de la princesse palpitait d’espérance, d’amour et de joie. Le phénix fit arrêter la voiture devant la maison d’Amazan : il demande à lui parler ; mais il y avait trois heures qu’il en était parti, sans qu’on sût où il était allé.

Il n’y a point de termes dans la langue même des Gangarides qui puissent exprimer le désespoir dont Formosante fut accablée. « Hélas ! voilà ce que j’avais craint, dit le phénix ; les trois heures que vous avez passées dans votre hôtellerie sur le chemin de Bassora avec ce malheureux roi d’Égypte vous ont enlevé peut-être pour jamais le bonheur de votre vie : j’ai bien peur que nous n’ayons perdu Amazan sans retour. »

  1. Les vins de Surenne sont passés en proverbe. On croit assez communément qu’il s’agit des vins que produit le territoire du village de ce nom, qui est près de Paris. M. de Musset Pathay, auteur de la Bibliographie agronomique, publiée en 1810, nous apprend que : « Il y a aux environs de Vendôme, dans l’ancien patrimoine de Henri IV, une espèce de raisin que, dans le pays, on appelle suren : il produit un vin blanc très-agréable à boire… Henri IV faisait venir de ce vin à la cour ; il le trouvait très-bon. C’en fut assez pour qu’il parût délicieux aux courtisans ; et l’on but pendant le règne de ce monarque du vin de suren… Louis XIII n’ayant pas pour le suren la prédilection du roi son père, ce vin passa de mode et perdit sa renommée. » L’erreur générale provient donc d’une homonymie. (B.)