Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/432

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Ils traversèrent ainsi toute la Germanie ; ils admirèrent les progrès que la raison et la philosophie faisaient dans le Nord : tous les princes y étaient instruits, tous autorisaient la liberté de penser ; leur éducation n’avait point été confiée à des hommes qui eussent intérêt de les tromper, ou qui fussent trompés eux-mêmes : on les avait élevés dans la connaissance de la morale universelle, et dans le mépris des superstitions ; on avait banni dans tous ces États un usage insensé, qui énervait et dépeuplait plusieurs pays méridionaux : cette coutume était d’enterrer tout vivants, dans de vastes cachots, un nombre infini des deux sexes éternellement séparés l’un de l’autre, et de leur faire jurer de n’avoir jamais de communication ensemble. Cet excès de démence, accrédité pendant des siècles, avait dévasté la terre autant que les guerres les plus cruelles.

Les princes du Nord avaient à la fin compris que, si on voulait avoir des haras, il ne fallait pas séparer les plus forts chevaux des cavales. Ils avaient détruit aussi des erreurs non moins bizarres et non moins pernicieuses. Enfin les hommes osaient être raisonnables dans ces vastes pays, tandis qu’ailleurs on croyait encore qu’on ne peut les gouverner qu’autant qu’ils sont imbéciles.


CHAPITRE XV.

FORMOSANTE, SUIVANT TOUJOURS SON AMANT, MANQUE DE L’ATTEINDRE CHEZ LES BATAVES. ELLE VEUT PASSER, APRÈS LUI, DANS L’ÎLE D’ALBION ; MAIS MALHEUREUSEMENT DES VENTS CONTRAIRES LA RETIENNENT AU PORT.


Amazan arriva chez les Bataves ; son cœur éprouva dans son chagrin une douce satisfaction d’y retrouver quelque faible image du pays des heureux Gangarides ; la liberté, l’égalité, la propreté, l’abondance, la tolérance ; mais les dames du pays étaient si froides qu’aucune ne lui fit d’avances comme on lui en avait fait partout ailleurs ; il n’eut pas la peine de résister. S’il avait voulu attaquer ces dames, il les aurait toutes subjuguées l’une après l’autre, sans être aimé d’aucune ; mais il était bien éloigné de songer à faire des conquêtes.

Formosante fut sur le point de l’attraper chez cette nation insipide : il ne s’en fallut que d’un moment.

Amazan avait entendu parler chez les Bataves avec tant d’éloges d’une certaine île, nommée Albion, qu’il s’était déterminé