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PREMIÈRE LETTRE
D’ADATÉ À SHASTASID.


À Goa, le 5 du mois du tigre, l’an du renouvellement du monde 115652.


Birma, entends mes cris, vois mes pleurs, sauve mon cher époux ! Brama, fils de Birma, porte ma douleur et ma crainte à ton père ! Généreux Shastasid, plus sage que nous, tu avais prévu nos malheurs. Mon cher Amabed, ton disciple, mon tendre époux, ne t’écrira plus ; il est dans une fosse que les barbares appellent prison. Des gens que je ne puis définir, on les nomme ici inquisitori[1], je ne sais ce que ce mot signifie ; ces monstres, le lendemain de notre arrivée, saisirent mon mari et moi, et nous mirent chacun dans une fosse séparée, comme si nous étions morts ; mais si nous l’étions, il fallait du moins nous ensevelir ensemble. Je ne sais ce qu’ils ont fait de mon cher Amabed. J’ai dit à mes anthropophages : « Où est Amabed ? Ne le tuez pas, et tuez-moi. » Ils ne m’ont rien répondu. « Où est-il ? pourquoi m’avez-vous séparée de lui ? » Ils ont gardé le silence : ils m’ont enchaînée. J’ai depuis une heure un peu plus de liberté ; le marchand Coursom a trouvé moyen de me faire tenir du papier de coton, un pinceau et de l’encre. Mes larmes imbibent tout, ma main tremble, mes yeux s’obscurcissent, je me meurs.


DEUXIÈME LETTRE
D’ADATÉ À SHASTASID

ÉCRITE DE LA PRISON DE L’INQUISITION.


Divin Shastasid, je fus hier longtemps évanouie ; je ne pus achever ma lettre : je la pliai quand je repris un peu mes sens ; je la mis dans mon sein, qui n’allaitera pas les enfants que j’espérais avoir d’Amabed. Je mourrai avant que Birma m’ait accordé la fécondité.

Ce matin, au point du jour, sont entrés dans ma fosse deux spectres armés de hallebardes, portant au cou des grains enfilés,

  1. Au xviiie siècle, l’inquisition de Goa existait encore.