Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/481

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

si peu dignes du ciel, et cette grande mer que l’avarice et la cruauté leur ont fait traverser.

Cependant le capitaine paraît un homme honnête et prudent. Il ne permet pas que le P. Fa tutto soit sur le tillac quand nous y prenons le frais ; et lorsqu’il est en haut, nous nous tenons en bas. Nous sommes comme le jour et la nuit, qui ne paraissent jamais ensemble sur le même horizon. Je ne cesse de réfléchir sur la destinée qui se joue des malheureux mortels. Nous voguons sur la mer des Indes avec un dominicain, pour aller être jugés dans Roume, à six mille lieues de notre patrie.

Il y a dans le vaisseau un personnage considérable qu’on nomme l’aumônier. Ce n’est pas qu’il fasse l’aumône ; au contraire on lui donne de l’argent pour dire des prières dans une langue qui n’est ni la portugaise ni l’italienne, et que personne de l’équipage n’entend ; peut-être ne l’entend-il pas lui-même ; car il est toujours en dispute sur le sens des paroles avec le P. Fa tutto. Le capitaine m’a dit que cet aumônier est franciscain, et que, l’autre étant dominicain, ils sont obligés en conscience de n’être jamais du même avis. Leurs sectes sont ennemies jurées l’une de l’autre ; aussi sont-ils vêtus tout différemment pour marquer la différence de leurs opinions.

Ce franciscain s’appelle Fa molto ; il me prête des livres italiens concernant la religion du vice-dieu devant qui nous comparaîtrons. Nous lisons ces livres, ma chère Adaté et moi ; Déra assiste à la lecture. Elle y a eu d’abord de la répugnance, craignant de déplaire à Brama ; mais plus nous lisons, plus nous nous fortifions dans l’amour des saints dogmes que tu enseignes aux fidèles.


TROISIÈME LETTRE
DU JOURNAL D’AMABED.


Nous avons lu avec l’aumônier des épîtres d’un des grands saints de la religion italienne et portugaise. Son nom est Paul. Toi, qui possèdes la science universelle, tu connais Paul sans doute. C’est un grand homme : il a été renversé de cheval par une voix, et aveuglé par un trait de lumière ; il se vante d’avoir été comme moi au cachot ; il ajoute qu’il a eu cinq fois trente-neuf coups de fouet, ce qui fait en tout cent quatre-vingt-quinze écourgées sur les fesses ; plus, trois fois des coups de bâton, sans spécifier le nombre ; plus, il dit qu’il a été lapidé une fois ; cela