Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/495

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telles ; que le gouvernement nous considère trop pour souffrir que nous gardions le souvenir d’une telle facétie ; que les Fa tutto et les Fa molto sont des espèces de singes élevés avec soin pour faire des tours de passe-passe devant le peuple ; et on finit par des protestations de respect et d’amitié pour nous. Quel parti veux-tu que nous prenions, grand Shastasid ? Je crois que le plus sage est de rire comme les autres, et d’être poli comme eux. Je veux étudier Roume, elle en vaut la peine.


QUATORZIÈME LETTRE
D’AMABED.


Il y a un assez grand intervalle entre ma dernière lettre et la présente. J’ai lu, j’ai vu, j’ai conservé, j’ai médité. Je te jure qu’il n’y eut jamais sur la terre une contradiction plus énorme qu’entre le gouvernement romain et sa religion. J’en parlais hier à un théologien du vice-dieu. Un théologien est, dans cette cour, ce que sont les derniers valets dans une maison : ils font la grosse besogne, portent les ordures, et, s’ils y trouvent quelque chiffon qui puisse servir, ils le mettent à part pour le besoin.

Je lui disais : « Votre Dieu est né dans une étable entre un bœuf et un âne ; il a été élevé, a vécu, est mort dans la pauvreté ; il a ordonné expressément la pauvreté à ses disciples ; il leur a déclaré qu’il n’y aurait parmi eux ni premier ni dernier, et que celui qui voudrait commander aux autres les servirait : cependant je vois ici qu’on fait exactement tout le contraire de ce que veut votre Dieu. Votre culte même est tout différent du sien. Vous obligez les hommes à croire des choses dont il n’a pas dit un seul mot.

— Tout cela est vrai, m’a-t-il répondu. Notre Dieu n’a pas commandé à nos maîtres formellement de s’enrichir aux dépens des peuples, et de ravir le bien d’autrui ; mais il l’a commandé virtuellement. Il est né entre un bœuf et un âne ; mais trois rois sont venus l’adorer dans une écurie. Les bœufs et les ânes figurent les peuples que nous enseignons, et les trois rois figurent tous les monarques qui sont à nos pieds. Ses disciples étaient dans l’indigence : donc nos maîtres doivent aujourd’hui regorger de richesses, car, si ces premiers vice-dieu n’eurent besoin que d’un écu, ceux d’aujourd’hui ont un besoin pressant de dix millions d’écus ; or, être pauvre, c’est n’avoir précisément que le néces-