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ÉLOGE HISTORIQUE
DE LA RAISON
PRONONCÉ DANS UNE ACADÉMIE DE PROVINCE
PAR M. DE CHAMBON.


(1774)




Érasme fit, au xvie siècle, l’éloge de la Folie. Vous m’ordonnez de vous faire l’éloge de la Raison. Cette Raison n’est fêtée en effet tout au plus que deux cents ans après son ennemie, souvent beaucoup plus tard ; et il y a des nations chez lesquelles on ne l’a point encore vue.

Elle était si inconnue chez nous du temps de nos druides qu’elle n’avait pas même de nom dans notre langue. César ne l’apporta ni en Suisse, ni à Autun, ni à Paris, qui n’était alors qu’un hameau de pêcheurs, et lui-même ne la connut guère.

Il avait tant de grandes qualités que la Raison ne put trouver de place dans la foule. Ce magnanime insensé sortit de notre pays dévasté pour aller dévaster le sien, et pour se faire donner vingt-trois coups de poignard par vingt-trois autres illustres enragés qui ne le valaient pas à beaucoup près.

Le Sicambre Clodvich ou Clovis vint environ cinq cents années après exterminer une partie de notre nation, et subjuguer l’autre. On n’entendit parler de raison ni dans son armée ni dans nos malheureux petits villages, si ce n’est de la raison du plus fort.

Nous croupîmes longtemps dans cette horrible et avilissante barbarie. Les croisades ne nous en tirèrent pas. Ce fut à la fois la folie la plus universelle, la plus atroce, la plus ridicule et la plus malheureuse. L’abominable folie de la guerre civile et sacrée qui extermina tant de gens de la langue de oc et de la langue