Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/566

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Il donne au patient les cent guinées pour premier appareil, et cinquante autres en forme de réparation ; il lui demande pardon pour son fils ; il lui exprime sa douleur avec tant de tendresse, avec tant de vérité, que ce pauvre homme, qui était dans son lit, l’embrasse en versant des larmes, et veut lui rendre son argent. Ce spectacle étonnait et attendrissait le jeune M. Cheselden, qui commence à se faire une grande réputation, et dont le cœur est aussi bon que son coup d’œil et sa main sont habiles. J’étais ému, j’étais hors de moi ; je n’avais jamais tant révéré, tant aimé notre ami.

Je lui demandai, en retournant à sa maison, s’il ne ferait pas venir son fils chez lui, s’il ne lui représenterait pas ses fautes. « Non, dit-il ; je veux qu’il les sente avant que je lui en parle. Soupons ce soir tous deux ; nous verrons ensemble ce que l’honnêteté m’oblige de faire. Les exemples corrigent bien mieux que les réprimandes. »

J’allai, en attendant le souper, chez Jenni ; je le trouvai, comme je pense que tout homme est après son premier crime, pâle, l’œil égaré, la voix rauque et entrecoupée, l’esprit agité, répondant de travers à tout ce qu’on lui disait. Enfin je lui appris ce que son père venait de faire. Il resta immobile, me regarda fixement, puis se détourna un moment pour verser quelques larmes. J’en augurai bien ; je conçus une grande espérance que Jenni pourrait être un jour très-honnête homme. J’allais me jeter à son cou, lorsque Mme Clive-Hart entra avec un jeune étourdi de ses amis, nommé Birton.

« Eh bien ! dit la dame en riant, est-il vrai que tu as tué un homme aujourd’hui ? C’était apparemment quelque ennuyeux ; il est bon de délivrer le monde de ces gens-là. Quand il te prendra envie de tuer quelque autre, je te prie de donner la préférence à mon mari, car il m’ennuie furieusement. »

Je regardais cette femme des pieds jusqu’à la tête. Elle était belle ; mais elle me parut avoir quelque chose de sinistre dans la physionomie. Jenni n’osait répondre, et baissait les yeux, parce que j’étais là. « Qu’as-tu donc, mon ami ? lui dit Birton, il semble que tu aies fait quelque mal ; je viens te remettre ton péché. Tiens, voici un petit livre que je viens d’acheter chez Lintot ; il prouve, comme deux et deux font quatre, qu’il n’y a ni Dieu, ni vice, ni vertu : cela est consolant. Buvons ensemble. »

À cet étrange discours je me retirai au plus vite. Je fis sentir discrètement à M. Freind combien son fils avait besoin de sa présence et de ses conseils. « Je le conçois comme vous, dit ce bon