Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/586

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diminue pas l’existence ; mais M. Birton l’a trop exagérée. Je m’en rapporte à vous, mon cher Parouba ; votre climat est fait pour vous, et il n’est pas si mauvais, puisque ni vous ni vos compatriotes n’avez voulu le quitter. Les Esquimaux, les Islandais, les Lapons, les Ostiaks, les Samoyèdes, n’ont jamais voulu sortir du leur. Les rangifères, ou rennes, que Dieu leur a donnés pour les nourrir, les vêtir et les traîner, meurent quand on les transporte dans une autre zone. Les Lapons mêmes aussi meurent dans les climats un peu méridionaux : le climat de la Sibérie est trop chaud pour eux ; ils se trouveraient brûlés dans le parage où nous sommes.

Il est clair que Dieu a fait chaque espèce d’animaux et de végétaux pour la place dans laquelle ils se perpétuent. Les nègres, cette espèce d’hommes si différente de la nôtre, sont tellement nés pour leur patrie que des milliers de ces animaux noirs se sont donné la mort quand notre barbare avarice les a transportés ailleurs. Le chameau et l’autruche vivent commodément dans les sables de l’Afrique ; le taureau et ses compagnes bondissent dans les pays gras où l’herbe se renouvelle continuellement pour leur nourriture ; la cannelle et le girofle ne croissent qu’aux Indes ; le froment n’est bon que dans le peu de pays où Dieu le fait croître. On a d’autres nourritures dans toute votre Amérique, depuis la Californie jusqu’au détroit de Lemaire ; nous ne pouvons cultiver la vigne dans notre fertile Angleterre, non plus qu’en Suède et en Canada. Voilà pourquoi ceux qui fondent dans quelques pays l’essence de leurs rites religieux sur du pain et du vin n’ont consulté que leur climat ; ils font très-bien, eux, de remercier Dieu de l’aliment et de la boisson qu’ils tiennent de sa bonté ; et vous ferez très-bien, vous Américains, de lui rendre grâce de votre maïs, de votre manioc et de votre cassave. Dieu, dans toute la terre, a proportionné les organes et les facultés des animaux, depuis l’homme jusqu’au limaçon, au lieu où il leur a donné la vie : n’accusons donc pas toujours la Providence, quand nous lui devons souvent des actions de grâces.

Venons aux fléaux, aux inondations, aux volcans, aux tremblements de terre. Si vous ne considérez que ces calamités, si vous ne ramassez qu’un assemblage affreux de tous les accidents qui ont attaqué quelques roues de la machine de cet univers, Dieu est un tyran à vos yeux ; si vous faites attention à ses innombrables bienfaits, Dieu est un père. Vous me citez saint Augustin le rhéteur, qui, dans son livre des miracles, parle de cent villes englouties à la fois en Libye ; mais songez que cet Africain, qui