Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/596

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

maux, dont le sang fait la vie, comme il fait la nôtre, qui ont comme nous des volontés, des appétits, des passions, des idées, de la mémoire, de l’industrie ; savez-vous, dis-je, si ces êtres, aussi incompréhensibles que nous, ont une âme, comme on prétend que nous en avons une ?

J’avais cru jusqu’à présent qu’il est dans la nature une force active dont nous tenons le don de vivre dans tout notre corps, de marcher par nos pieds, de prendre par nos mains, de voir par nos yeux, d’entendre par nos oreilles, de sentir par nos nerfs, de penser par notre tête, et que tout cela était ce que nous appelons l’âme : mot vague qui ne signifie au fond que le principe inconnu de nos facultés. J’appellerai Dieu, avec vous, ce principe intelligent et puissant qui anime la nature entière ; mais a-t-il daigné se faire connaître à nous ?

FREIND.

Oui, par ses œuvres.

BIRTON.

Nous a-t-il dicté ses lois ? nous a-t-il parlé ?

FREIND.

Oui, par la voix de votre conscience. N’est-il pas vrai que si vous aviez tué votre père et votre mère, cette conscience vous déchirerait par des remords aussi affreux qu’involontaires ? Cette vérité n’est-elle pas sentie et avouée par l’univers entier ? Descendons maintenant à de moindres crimes. Y en a-t-il un seul qui ne vous effraye au premier coup d’œil, qui ne vous fasse pâlir la première fois que vous le commettez, et qui ne laisse dans votre cœur l’aiguillon du repentir ?

BIRTON.

Il faut que je l’avoue.

FREIND.

Dieu vous a donc expressément ordonné, en parlant à votre cœur, de ne vous souiller jamais d’un crime évident. Et quant à toutes ces actions équivoques, que les uns condamnent et que les autres justifient, qu’avons-nous de mieux à faire que de suivre cette grande loi du premier des Zoroastres, tant remarquée de nos jours par un auteur français[1] : « Quand tu ne sais si l’action que tu médites est bonne ou mauvaise, abstiens-toi » ?

  1. Voltaire lui-même ; voyez tome XVII, page 557 ; tome XVIII, page 236 ; tome XIX, page 549 ; tome XX, pages 345 et 646 ; et dans les Mélanges, année 1768, une des notes sur le Discours de l’empereur Julien, et le dialogue A B C, dixième entretien ; année 1771, Lettres de Memmius, no 19.