Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/613

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
587
CHAPITRE IV.

nommé la Nouvelle-Zélande, qui sont aujourd’hui les plus barbares de tous les barbares, étaient baptisés. J’ai répondu que je n’en savais rien, que cela pouvait être ; que les Juifs, qui étaient plus barbares qu’eux, avaient eu deux baptêmes au lieu d’un, le baptême de justice et le baptême de domicile.

— Vraiment, je les connais, dit M. Goudman, et j’ai eu sur cela de grandes disputes avec ceux qui croient que nous avons inventé le baptême. Non, messieurs, nous n’avons rien inventé, nous n’avons fait que rapetasser. Mais, dites-moi, je vous en prie, monsieur Grou, de quatre-vingts ou cent religions que vous avez vues en chemin, laquelle vous a paru la plus agréable : est-ce celle des Zélandais ou celle des Hottentots ?

M. GROU.

C’est celle de l’île d’Otaïti, sans aucune comparaison. J’ai parcouru les deux hémisphères ; je n’ai rien vu comme Otaïti et sa religieuse reine. C’est dans Otaïti que la nature habite. Je n’ai vu ailleurs que des masques ; je n’ai vu que des fripons qui trompent des sots, des charlatans qui escamotent l’argent des autres pour avoir de l’autorité, et qui escamotent de l’autorité pour avoir de l’argent impunément ; qui vous vendent des toiles d’araignée pour manger vos perdrix ; qui vous promettent richesses et plaisirs quand il n’y aura plus personne, afin que vous tourniez la broche pendant qu’ils existent.

Pardieu ! il n’en est pas de même dans l’île d’Aïti, ou d’Otaïti. Cette île est bien plus civilisée que celle de Zélande et que le pays des Cafres, et, j’ose dire, que notre Angleterre, parce que la nature l’a favorisée d’un sol plus fertile ; elle lui a donné l’arbre à pain, présent aussi utile qu’admirable, qu’elle n’a fait qu’à quelques îles de la mer du Sud. Otaïti possède d’ailleurs beaucoup de volailles, de légumes et de fruits. On n’a pas besoin dans un tel pays de manger son semblable ; mais il y a un besoin plus naturel, plus doux, plus universel, que la religion d’Otaïti ordonne de satisfaire en public. C’est de toutes les cérémonies religieuses la plus respectable sans doute ; j’en ai été témoin, aussi bien que tout l’équipage de notre vaisseau. Ce ne sont point ici des fables de missionnaires, telles qu’on en trouve quelquefois dans les Lettres édifiantes et curieuses des révérends pères jésuites. Le docteur Jean Hawkesworth[1] achève actuellement de faire imprimer nos découvertes dans l’hémisphère méridional. J’ai

  1. Hawkesworth, né en 1715 ou 1719, mort en 1773, a été le rédacteur du premier Voyage de Cook, qui parut en 1773.