Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome21.djvu/73

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qui m’a mise en état de donner un citoyen à l’empire. — C’est moi qui ai fait cette bonne œuvre, dit l’un. — C’est moi qui ai eu cet avantage, dit l’autre. — Eh bien ! répondit-elle, je reconnais pour père de l’enfant celui des deux qui lui pourra donner la meilleure éducation. » Elle accoucha d’un fils. Chacun des mages veut l’élever. La cause est portée devant Zadig. Il fait venir les deux mages. « Qu’enseigneras-tu à ton pupille ? dit-il au premier. — Je lui apprendrai, dit le docteur, les huit parties d’oraison, la dialectique, l’astrologie, la démonomanie ; ce que c’est que la substance et l’accident, l’abstrait et le concret, les monades et l’harmonie préétablie. — Moi, dit le second, je tâcherai de le rendre juste et digne d’avoir des amis. » Zadig prononça : « Que tu sois son père ou non, tu épouseras sa mère. »

[1] Il venait tous les jours des plaintes à la cour contre l’itimadoulet de Médie, nommé Irax. C’était un grand seigneur dont le fonds n’était pas mauvais, mais qui était corrompu par la vanité et par la volupté. Il souffrait rarement qu’on lui parlât, et jamais qu’on l’osât contredire. Les paons ne sont pas plus vains, les colombes ne sont pas plus voluptueuses, les tortues ont moins de paresse ; il ne respirait que la fausse gloire et les faux plaisirs : Zadig entreprit de le corriger.

Il lui envoya de la part du roi un maître de musique avec douze voix et vingt-quatre violons, un maître-d’hôtel avec six cuisiniers et quatre chambellans, qui ne devaient pas le quitter. L’ordre du roi portait que l’étiquette suivante serait inviolablement observée ; et voici comme les choses se passèrent.

Le premier jour, dès que le voluptueux Irax fut éveillé, le maître de musique entra, suivi des voix et des violons : on chanta une cantate qui dura deux heures, et, de trois minutes en trois minutes, le refrain était :

Que son mérite est extrême !
Que de grâces ! que de grandeur !
Ah ! combien monseigneur
Doit être content de lui-même !

Après l’exécution de la cantate, un chambellan lui fit une harangue de trois quarts d’heure, dans laquelle on le louait expressément de toutes les bonnes qualités qui lui manquaient.

  1. Toute la fin de ce chapitre a paru pour la première fois dans les éditions de Kehl. (B.)