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LES DERNIÈRES PAROLES

le fils.

Elle est composée de ces Juifs qui vendent des haillons et des philtres, et qui rognent les espèces[1] à Rome.

épictète.

La vertu qu’ils enseignent est apparemment de la fausse monnaie.

le fils.

Ils disent qu’il est impossible d’être vertueux sans s’être fait couper un peu de prépuce, ou sans s’être plongé dans l’eau au nom du père par le fils. Il est vrai qu’ils ne sont pas d’accord en cela : les uns veulent du prépuce, les autres n’en veulent point ; ceux-ci croient l’eau nécessaire, comme Pindare qui la dit merveilleuse ; ceux-là s’en passent. Mais tous disent qu’il leur faut donner de l’argent.

épictète.

Comment, de l’argent ! Sans doute on doit secourir de son superflu les pauvres qui ne peuvent travailler, payer ceux qui peuvent gagner leur vie, et partager son nécessaire avec ses amis. C’est notre loi, c’est notre morale : c’est ce que j’ai fait depuis qu’Épaphrodite m’affranchit, et c’est ce que je vous ai vu faire avec une satisfaction qui rend mes derniers moments heureux.

le fils.

Les philosophes dont je vous parle exigent bien autre chose : ils veulent qu’on apporte à leurs pieds tout ce qu’on a, jusqu’à la dernière obole.

épictète.

S’il est ainsi, ce sont des voleurs, et vous êtes obligé de les déférer au préteur ou aux centumvirs.

le fils.

Oh non, ce ne sont point des voleurs, ce sont des marchands qui vous donnent la meilleure denrée du monde pour votre argent, car ils vous promettent la vie éternelle ; et si, en mettant votre argent à leurs pieds, comme ils l’ordonnent, vous gardez seulement de quoi manger, ils ont le pouvoir de vous faire mourir subitement.

épictète.

Ce sont donc des assassins dont il faut au plus tôt purger la société.

  1. Voltaire a, en 1771, demandé aux Juifs pardon de cette accusation ; voyez tome XIX, page 528.