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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/268

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258 QUESTIONS PROPOSÉES.

Nous avons disputé sur l'âme des bêtes. Ont-elles une âme, ou non? Cette âme est-elle matérielle? Est-ce une entéléchie? Mais il fallait auparavant savoir quelle idée on attache à ce mot âme, et alors on aurait vu qu'on n'en aura aucune.

N'est-il pas clair, à quiconque ne veut pas se tromper, qu'il n'y a pas plus de raison de dire : L'âme de ce cheval est un être à part, que de dire : La vie, la force, le mouvement, la digestion, le sommeil de ce cheval, sont des êtres à part?

Pourquoi le mot âme ^ donnerait-il plutôt Tidée d'un être à part que tous ces autres mots? N'est-il donc pas évident qu'il n'y a pas plus d'âme dans ce cheval qu'il n'y a de ces êtres méta- physiques qui ne sont que des paroles?

Tout ce qu'on pourrait répondre, ce me semble, serait que, dans toutes les machines, il y a un principe de mouvement qui fait le jeu de ses ressorts: or, le principe de mouvement, de vie, de sentiment, vous l'appelez âme dans les animaux. Cette réponse est, je crois, la seule qu'on peut faire, et, au fond, elle ne dit rien du tout.

Je conçois très-bien que l'eau, tombant sur les aubes d'une roue, la fasse tourner; qu'un poids plus fort, en descendant, élève un poids plus faible ; mais ici il n'en va pas de même. L'âme que vous avez admise dans cet animal ne peut assurément lui donner la vie , ne peut faire circuler son sang dans ses veines, car son sang circule avec une telle indépendance de son âme pré- tendue que, quand il est trop agité, son âme voudrait en vain le calmer : tous les mouvements intérieurs de cet animal se font sans que cette âme en sache rien.

Ce n'est pas parce qu'il est en vie que vous lui attribuez une âme, mais parce qu'il vous paraît avoir du sentiment et des idées.

Vous ne concevez pas comment il sent, comment il a de la mémoire et des désirs.: certainement vous ne le concevez pas mieux quand vous prononcez le mot âme.

Pourquoi, voyant cet être qui se meut, qui digère, qui se res- souvient, qui désire, imaginez-vous dans lui un autre être qui le fait sentir, se mouvoir, digérer, désirer? N'avez-vous pas toujours à expliquer comment ce nouvel être lui ferait faire toutes ces choses?

Concevrez-vous mieux la mécanique incompréhensible des

��1. Il n'est question ici, et dans tout ce qui suit, que de l'âme végétative et de l'instinct, ou, en suivant la nouvelle manière de s'exprimer, de l'âme des ani- maux. {Note de Voltaire.)

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