Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/401

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Mais c’est un grand gain[1] pour monsieur le professeur : car le miracle est bien plus beau qu’il ne croyait, et il y a quatre miracles au lieu d’un. Non-seulement la terre et la lune s’arrêtèrent dans leur période menstruelle et annuelle, mais aussi dans leur rotation journalière : ce qui fait deux miracles ; et non-seulement elles perdirent pendant huit ou neuf heures leur double mouvement, mais toutes les planètes perdirent le leur, troisième miracle ; et le mouvement de projectile et de gravitation fut suspendu dans toute la nature, quatrième miracle.

Je lui parlai ensuite, monsieur, de la comète que vous supposez avoir conduit les trois mages à Bethléem. Il me dit qu’il vous dénoncerait au consistoire pour avoir appelé comète ce que les sacrés cahiers appellent étoile, et qu’il n’est pas loyal de falsifier ainsi l’Écriture sainte.

Je lui appris votre belle explication du miracle des cinq mille pains et des trois mille poissons qui nourrirent cinq Juifs. Pardon, je voulais dire des cinq pains et des trois poissons qui nourrirent cinq mille Juifs. Vous dites que Dieu changea les pierres du voisinage en pains et en poissons. Mais y pensez-vous ? oubliez-vous que c’est là précisément ce que proposait le diable quand il dit à Jésus[2] : Dites que ces pierres deviennent pains ?

Il me demanda ensuite si vous ne parliez pas du grand miracle par lequel le vieil Hérode, qui était malade de la maladie dont il mourut, fit égorger tous les petits enfants du pays : car sans doute c’était une chose très-miraculeuse qu’un vieillard moribond, créé roi par les Romains, s’imaginât qu’il était né un autre roi des Juifs, et fît massacrer tous les petits garçons pour envelopper le roi nouveau-né dans cette boucherie. Il me demanda comment vous expliquiez le silence de Flavius Josèphe sur cette Saint-Barthélemy.

Je lui dis que vous ne vous mêliez pas de ces bagatelles, mais que vous m’aviez dit des choses merveilleuses sur Jonas.

« Quoi donc ! dit-il, prétend-il que ce fut Jonas qui avala la baleine ?

— Non, répondis-je ; il s’est contenté de confondre sérieusement une mauvaise plaisanterie, en avouant pourtant que le bonhomme Jonas avait pris son plus long pour aller à Ninive.

  1. Ce texte est celui de l’édition originale, de celle de 1775, et de celle de Kehl. Dans les réimpressions de 1765 et 1767, on lit :

    « Le prétendu théologien fait donc en vain ce qu’il peut pour affaiblir le miracle : il est bien plus grand qu’il ne croyait, etc. » (B.)

  2. Matthieu, iv, 3 ; Luc, iv, 3.