Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/402

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— Il est lui-même fort plaisant, répliqua l’écolier ; il devait examiner, avec les plus judicieux commentateurs, si Jonas fut avalé par une baleine, ou par un chien marin ; pour moi, je suis pour le chien marin, et je pense de plus, avec le grand saint Hilaire, que Jonas fut mangé jusqu’aux os, et qu’il ressuscita au bout de trois jours comme de raison. Les miracles sont toujours plus grands que ne le croit monsieur le professeur : mais je vous prie de le consulter sur une autre petite difficulté.

« Jonas prophétisa du temps du roitelet juif Joas, vers l’an 850 avant notre ère vulgaire. Phul, selon Diodore de Sicile, fonda Ninive en ce temps-là. Le divin historien qui a écrit l’histoire véridique de Jonas[1] assure qu’il y avait dans cette ville six-vingt mille enfants qui ne savaient pas distinguer leur main droite de leur main gauche[2] : cela fait, suivant les calculs de Breslau, d’Amsterdam, de Londres, et de Paris, quatre millions quatre-vingt mille âmes, sans compter les eunuques ; voilà une ville nouvelle honnêtement peuplée.

« Demandez aussi à monsieur le professeur si c’était une citrouille ou un lierre dans lequel Dieu[3] envoya un ver pour le faire sécher, afin d’ôter l’ombrage à Jonas qui dormait. En effet, rien ne ressemble plus à un lierre qu’une citrouille, et l’un et l’autre donnent l’ombrage le plus épais. »

Ne trouve-t-il pas bien plaisant que Dieu envoie un ver pour empêcher un pauvre diable de prophète de dormir à l’ombre ! On m’assure que ce théologien a dit qu’il faut mettre ce ver avec la baleine : cet homme est goguenard.

C’était au Molard que se passait ce petit entretien : on s’attroupa, la conversation s’anima au point qu’on se mit à rire d’un bout de la ville à l’autre, et il n’y eut que monsieur le professeur qui ne rit point.

Quand on eut bien ri, le vieux capitaine Durôst[4], que vous connaissez, fendit la presse ; vous savez qu’il n’a jamais connu de prêtres que l’aumônier de son régiment. Il me dit : « Mordieu ! monsieur le proposant, allez dire à monsieur le professeur…

  1. Jonas, iv, 11.
  2. On multiplié par trente-quatre les enfants nés dans l’année, car il n’y a qu’eux qui ne savent pas distinguer la main droite de la gauche. Ajoutez que le tiers de ces enfants meurt avant la fin de l’année, ce qui donne un tiers en sus d’habitants. (Note de Voltaire.)
  3. Jonas, iv, 7.
  4. Ce personnage, qui a sans doute existé, figure aussi dans une note de la lettre 6, et dans la Lettre curieuse de Robert Covelle.