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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/538

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On dit dans Avignon que Jésus est mort pour tous, et dans un faubourg de Paris qu’il est mort pour plusieurs. Là on assure que le mariage est le signe visible d’une chose invisible ; ici on prétend qu’il n’y a rien d’invisible dans cette union. Il y a des villes où les apparences de la matière peuvent subsister sans que la matière apparente existe, et où un corps peut être en mille endroits différents ; il y a d’autres villes où l’on croit la matière pénétrable ; et pour comble enfin, il y a dans ces villes de grands édifices où l’on enseigne une chose, et d’autres édifices où il faut croire une chose toute contraire. On a une différente manière d’argumenter, selon qu’on porte une robe blanche, grise ou noire, ou selon qu’on est affublé d’un manteau ou d’une chasuble. Ce sont là les raisons de cette intolérance réciproque qui rend éternellement ennemis les sujets d’un même État, et par un renversement d’esprit inconcevable on laisse subsister ces semences de discorde.

Certainement l’Indien ou le Chinois ne pourra comprendre qu’on se soit persécuté, égorgé si longtemps pour de telles raisons. Il pensera d’abord que cet horrible acharnement ne peut avoir d’autre source que dans des principes de morale entièrement opposés. Il sera bien surpris quand il apprendra que nous avons tous la même morale, la même qu’on professa de tout temps à la Chine et dans les Indes, la même qui a gouverné tous les peuples. Qu’il devra nous plaindre alors et nous mépriser, en voyant que cette morale uniforme et éternelle n’a pu ni nous réunir ni nous adoucir, et que les subtilités scolastiques ont fait des monstres de ceux qui, en s’attachant simplement à cette même morale, auraient été des frères.

Tout ce que je dis ici à l’occasion des Calas et des Sirven, on aurait dû le dire pendant quinze cents années, depuis les querelles d’Athanase et d’Arius, que l’empereur Constantin traita d’abord d’insensées, jusqu’à celles du jésuite Le Tellier et du janséniste Quesnel, et des billets de confession. Non, il n’y a pas une seule dispute théologique qui n’ait eu des suites funestes. On en compilerait vingt volumes ; mais je veux finir par celle des cordeliers et des jacobins, qui prépara la réformation de la puissante république de Berne. C’est, de mille histoires de cette nature, la plus horrible, la plus sacrilége, et en même temps la plus avérée[1].

  1. Voyez tome XII, pages 292 et suiv.