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LETTRE DE GÉROFLE À COGÉ.


français. Mais la sacrée faculté ayant eu la modestie de soupçonner que son latin n’est pas celui de Cicéron, et que son français n’est pas celui de Vaugelas, il a semblé bon à ladite faculté de ne se hasarder dans aucune de ces deux langues. On lui a proposé de donner son thème en grec, attendu que Bélisaire parlait grec ; mais elle a répondu que tout cela était du grec pour elle. Qu’est-il arrivé de tout ce fracas ?


La Sorbonne en travail enfante une souris[1].

C’est ainsi que le vinaigrier Abraham Chaumeix, brave convulsionnaire, entreprit d’aigrir les esprits de tous les parlements du royaume contre l’Encyclopédie. Abraham avait été éconduit par les illustres et savants hommes qui dirigeaient ce célèbre recueil des connaissances humaines. Il imagina, pour avoir du pain, d’accuser les auteurs d’athéisme ; et voici comme il s’y prit juridiquement. Les semences de l’athéisme sont jetées, dit-il, au premier volume dans les articles Beurre, Brouette, Chapeau ; elles se développeront dans toute leur horreur aux articles Falbala, Jésuite, et Culotte.

Cet ouvrage, en vingt volumes in-folio, devait immanquablement exciter une sédition dans les halles et au port Landry. L’ouvrage a paru : tout a été tranquille ; Abraham Chaumeix, honteux d’avoir été faux prophète à Paris, est allé prophétiser à Moscou, et l’impératrice a daigné mander à mon maître qu’elle avait mis Abraham à la raison.

Si votre ami Cogé est prophète aussi, il est assurément prophète de Baal. L’esprit mensonger est au bout de sa plume. Il fait un libelle infâme contre Bélisaire ; et dans ce libelle, non content de médire, comme un vilain, d’un vieux capitaine qui ne donne que de bons conseils à son empereur, il médit aussi de mon maître, qui ne donne des conseils à personne.

C’est une étrange chose que la cuistrerie. Dès que ces drôles-là combattent un académicien sur un point d’histoire et de grammaire, ils mêlent au plus vite Dieu et le roi dans leurs querelles. Ils s’imaginent, dans leur galetas, que Dieu et le roi s’armeront en leur faveur de tonnerres et de lettres de cachet. Eh ! maroufles, ne prenez jamais le nom de Dieu et du roi en vain.

FIN DE LA LETTRE DE GÉROFLE.
  1. Boileau, Art poét., III, 274.