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FRAGMENT


ARTICLE XIV.


Fragment sur la Saint-Barthélemy.


On prétend en vain[1] que le chancelier de L’Hospital et Christophe de Thou, premier président, disaient souvent : Excidat illa dies (que ce jour périsse). Il ne périra point ; ces vers même en conservent la mémoire[2]. Nous fîmes aussi nos efforts autrefois pour la perpétuer[3]. Virgile avait mieux réussi que nous à transmettre aux siècles futurs la journée de la ruine de Troie. La grande poésie s’occupa toujours d’éterniser les malheurs des hommes.

Nous fûmes étonnés de trouver, en 1758, près de deux cents ans après la Saint-Barthélemy, un livre[4] contre les protestants dans lequel est une dissertation sur ces massacres ; l’auteur veut prouver ces quatre points qu’il énonce ainsi[5] :

1o Que la religion n’y a eu aucune part ;

2o Que ce fut une affaire de proscription ;

3o Qu’elle n’a dû regarder que Paris ;

4o Qu’il y a péri beaucoup moins de monde qu’on n’a écrit.

Au 1o nous répondrons : Non, sans doute, ce ne fut pas la religion qui médita et qui exécuta les massacres de la Saint-Barthélemy ; ce fut le fanatisme le plus exécrable. La religion est humaine, parce qu’elle est divine ; elle prie pour les pécheurs, et ne les extermine pas ; elle n’égorge point ceux qu’elle veut instruire. Mais si on entend ici par religion ces querelles sanguinaires de religion, ces guerres intestines qui couvrirent de

  1. Caveyrac, à la page 43 de sa Dissertation sur la Saint-Barthélemy, imprimée à la suite de son Apologie de Louis XIV et de son conseil sur la révocation de l’édit de Nantes, etc., 1758, in-8o. Voltaire avait déjà fait une Réponse à Caveyrac ; voyez tome XXVIII, page 556.
  2. Ce sont des vers de Silius Italicus :

    Excidat illa dies ævo, nec postera credant
    Secula.

    (Note de Voltaire.)

    — Ce passage n’est pas de Silius Italicus, mais de Stace, livre V des Sylves, ii, 88-89. Dans son Essai sur les Mœurs, voyez tome XII, page 511, Voltaire mettait cette citation dans la bouche de L’Hospital. Caveyrac dit, page 43 de sa Dissertation, que c’était le président de Thou qui les citait ; voilà sans doute pourquoi ce dernier est nommé ici par Voltaire. (B.)

  3. Dans le chant II de la Henriade.
  4. La Dissertation dont il vient d’être question.
  5. Page 1 de la Dissertation.