Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome29.djvu/370

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premier des arts, qui rassemble les hommes, qui pourvoit à leur nourriture, à leurs logements, à leurs vêtements, les trois seules choses qui suffisent à la nature humaine.

Ce n’est point sur les fables ridicules et amusantes recueillies par Ovide que la religion, nommée depuis paganisme, fut originairement établie. Les amours imputés aux dieux ne furent point un objet d’adoration ; il n’y eut jamais de temple consacré à Jupiter adultère, à Vénus amoureuse de Mars, à Phœbus abusant de l’enfance d’Hyacinthe. Les premiers mystères inventés dans la plus haute antiquité étaient la célébration des travaux champêtres sous la protection d’un dieu suprême. Tels furent les mystères d’Isis, d’Orphée, de Cérès Éleusine. Ceux de Cérès surtout représentaient aux yeux et à l’esprit comment les travaux de la campagne avaient retiré les hommes de la vie sauvage. Rien n’était plus utile et plus saint. On enseignait à révérer Dieu dans les astres dont le cours ramène les saisons, et on offrait au grand Démiourgos, sous le nom de Cérès et de Bacchus, les fruits dont sa providence avait enrichi la terre. Les orgies de Bacchus furent longtemps aussi pures, aussi sacrées que les mystères de Cérès. C’est de quoi Gautruche, Banier, et les autres mythologues, ne se sont pas assez informés. Les prêtresses de Bacchus, qu’on appelait les vénérables, firent vœu de chasteté et d’obéissance à leur supérieure jusqu’au temps d’Alexandre. On en trouve la preuve avec la formule de leur serment dans la harangue de Démosthène contre Néère.

En un mot, tout était sacré dans la vie champêtre, si respectable, et si méprisée aujourd’hui dans vos grandes villes.

J’avoue que les petits-maîtres à talons rouges de Babylone et de Memphis, mangeant les poulets des cultivateurs, prenant leurs chevaux, caressant leurs filles, et croyant leur faire trop d’honneur, pouvaient regarder cette espèce d’hommes comme uniquement faite pour les servir.

Nous habitions, nous autres Celtes, un climat plus rude et un pays moins fertile qu’il ne l’est de nos jours. La nation fut cruellement écrasée depuis Jules César jusqu’au grand Julien le Philosophe, qui logeait à la Croix de fer dans la rue de Laharpe[1]. Il nous traita avec équité et avec clémence, comme le reste de l’empire ; il diminua nos impôts ; il nous vengea des déprédations

  1. M. Dulaure (Histoire de Paris, deuxième édition, I, xii) dit qu’avant 1819 on entrait au palais des Thermes de Julien par la porte cochère d’une maison rue de Laharpe, no 53. Il y avait un marchand ayant pour enseigne la Croix de fer. (B.)