Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome31.djvu/33

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

SUR LES PENSÉES DE PASCAL. 23

aveuglément un homme qui ose parler au nom de Dieu, au lieu de recourir soi-même à Dieu. C'est croire ce qu'on ne croit pas^ Un philosophe étranger qui entendit parler de la foi, dit que c'était se mentir à soi-même. Ce n'est pas là de la certitude, c'est de l'anéantissement. C'est le triomphe de la théologie sur la faiblesse humaine. V.

LXIX. — Je sens qu'il y a trois dimensions dans l'espace, et que les nombres sont infinis; et la raison démontre ensuite qu'il n'y a point deux nombres carrés dont l'un soit double de l'autre. P.

Ce n'est point le raisonnement, c'est l'expérience et le tâton- nement qui démontrent cette singularité, et tant d'autres. V.

LXX. — Tous les hommes désirent d'être heureux; cela est sans excep- tion. Quelques différents moyens qu'ils y emploient, ils tendent tous à ce but. Ce qui fait que l'un va à la guerre et que l'autre n'y va pas, c'est ce même désir qui est dans tous les deux accompagné de différentes vues. La volonté ne fait jamais la moindre démarche que vers cet objet C'est le motif de toutes les actions de tous les hommes, jusqu'à ceux qui se tuent et qui se pendent.

Et cependant, depuis un si grand nombre d'années, jamais personne, sans la foi, n'est arrivé à ce point où tous tendent continuellement. Tous se plaignent, princes, sujets, nobles, rotuiiers, vieillards, jeunes, forts, faibles, savants, ignorants, sains, malades, de tous pays, de tout temps, de tous âges, et de toutes conditions. P.

Je sais qu'il est doux de se plaindre; que de tout temps on a vanté le passé pour injurier le présent; que chaque peuple a ima- giné un âge d'or, d'innocence, de honne santé, de repos, et de plaisir, qui ne subsiste plus. Cependant j'arrive de ma province à Paris; on m'introduit dans une très-belle salle où douze cents personnes écoutent une musique délicieuse : après quoi toute cette assemblée se divise en petites sociétés qui vont faire un très-bon souper, et après ce souper elles ne sont pas absolument mécontentes de la nuit. Je vois tous les beaux-arts en honneur dans cette ville, et les métiers les plus abjects bien récompensés, les infirmités très-soulagées, les accidents prévenus ; tout le monde y jouit, ou espère jouir, ou travaille pour jouir un jour, et ce dernier partage n'est pas le plus mauvais. Je dis alors à Pascal : Mon grand homme, êtes-vous fou?

Je ne nie pas que la terre n'ait été souvent inondée de mal- heurs et de crimes, et nous en avons eu notre bonne part. Mais

1. Voltaire avait déjà dit (voyez tome XIX, page 156): «La foi divine, sur laquelle on a tant écrit, n'est évidemment qu'une incrédulité soumise. »

�� �