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xVCTE m, SCÈNE IV. 351

Vers 130. Mille autres à l'envi recevroient celte loi.

Doit-elle lui (lire ({lie inillc autres assassineraient l'empereur pour mériter les Jjoniies grâces d'une femme? Cela ne révolte- t-il pas un peu ? Cela n'empèclie-t-il pas qu'on ne s'intéresse à Emilie ? Cette présomption de sa beauté la rend moins intéres- sante. Une femme emportée par une grande passion touche beaucoup ; mais une femme qui a la vanité de regarder sa pos- session comme le plus grand prix où l'on puisse aspirer révolte au lieli d'intéresser. Emilie a déjà dit au premier acte qu'on pu- bliera dans toute l'Italie qu'on n'a pu la mériter qu'en tuant Auguste ; elle a dit à Cinna : « Songe que mes faveurs t'attendent. » Ici elle dit que « mille Romains tueraient Auguste pour mériter ses bonnes grâces », Quelle femme a jamais parlé ainsi? Quelle différence entre elle et Hermione, qui dit dans une situation à peu près semblable :

Quoi ! sans qu'elle employât une seule prière, 3Ia mère en sa faveur arma la Grèce entière ! Ses yeux pour leur querelle, en dix ans de combats, Virent périr vingt rois qu'ils ne connaissoient pas. Et moi, je ne prétends que la mort d'un parjure, Et je charge un amant du soin de mon injure; Il peut me conquérir à ce prix, sans danger ; Je me livre moi-même, et ne puis me venger ^ !

C'est ainsi que s'exprime le goût perfectionné ; et le génie, dénué de ce goût sûr, bronche quelquefois. On ne prétend pas, encore une fois, rien diminuer de l'extrême mérite de Cor- neille; mais il faut qu'un commentateur n'ait en vue que la vérité et l'utilité publique. Au reste, la fin de cette tirade est fort belle.

Vers 148. S'il nous ôte à son gré nos biens, nos jours, nos femmes, 11 n'a point jusqu'ici tyrannisé nos âmes.

Mais en ce cas, Auguste est donc un monstre à étouffer. Cinna ne devait donc pas balancer : il a donc très-grand tort de se dé- dire ; ses remords ne sont donc pas vrais? Comment peut-il aimer un tyran qui ôte aux Romains leurs biens, leurs femmes, et leurs vies? Ces contradictions ne font-elles pas tort au pathétique aussi bien qu'au vrai, sans lequel rien n'est beau?

1. Racine, Andromaque, acte V, scène ii.

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