Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome31.djvu/38

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l’extrême chaud ni l’extrême froid. Les qualités excessives nous sont ennemies, et non pas sensibles. Nous ne les sentons plus, nous en souffrons : trop de jeunesse et trop de vieillesse empêchent l’esprit[1] ; trop et trop peu de nourriture troublent ses actions ; trop et trop peu d’instruction l’abêtissent. Les choses extrêmes sont pour nous comme si elles n’étaient pas, et nous ne sommes point à leur égard ; elles nous échappent, ou nous à elles.

Voilà notre état véritable ; c’est ce qui resserre nos connaissances en de certaines bornes que nous ne passons pas, incapables de savoir tout et d’ignorer tout absolument. Nous sommes sur un milieu vaste, toujours incertains, et flottants entre l’ignorance et la connaissance ; et si nous pensons aller plus avant, notre objet branle, et échappe à nos prises ; il se dérobe, et fuit d’une fuite éternelle : rien ne peut l’arrêter. C’est notre condition naturelle, et toutefois la plus contraire à notre inclination. Nous brûlons du désir d’approfondir tout, et d’édifier une tour qui s’élève jusqu’à l’infini ; mais tout notre édifice craque, et la terre s’ouvre jusqu’aux abîmes. P.

Cette éloquente tirade[2] ne prouve autre chose, sinon que l’homme n’est pas Dieu. Il est à sa place comme le reste de la nature, imparfait, parce que Dieu seul peut être parfait ; ou, pour mieux dire, l’homme est borné, et Dieu ne l’est pas. V.

LXXXVI. — Les différents sentiments de désir, de crainte, de ravissements, d’horreur, etc., qui naissent des passions, sont accompagnés de sensations physiques agréables ou pénibles, délicieuses ou déchirantes. On rapporte ces sensations à la région de la poitrine ; et il paraît que le diaphragme en est l’organe. C.

Il est vrai que, dans les mouvements subits des grandes passions, on sent vers la poitrine des convulsions, des défaillances, des agonies, qui ont quelquefois causé la mort ; et c’est ce qui fait que presque toute l’antiquité imagina une âme dans la poitrine. Les médecins placèrent les passions dans le foie. Les romanciers ont mis l’amour dans le cœur. V.

LXXXVII. – Ceux qui écrivent contre la gloire veulent avoir la gloire d’avoir bien écrit, et ceux qui le lisent veulent avoir la gloire de l’avoir lu ; et moi, qui écris ceci, j’ai peut-être cette envie, et peut-être que ceux qui le liront l’auront aussi. P.

Oui, vous couriez après la gloire de passer un jour pour le fléau des jésuites, le défenseur de Port-Royal, l’apôtre du jansénisme, le réformateur des chrétiens. V.

  1. Cela n’est pas dans le texte manuscrit.
  2. Cette éloquente tirade n’est qu’une manière de traduction des vraies expressions de Pascal, qui sont encore plus éloquentes. (G. A.)