Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome32.djvu/368

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dant il périt d’une mort cruelle. Son empoisonneur triomphe. Cet événement est tout à fait injuste. Pourquoi donc Britannicus a-t-il eu enfin un si grand succès, surtout auprès des connaisseurs et des hommes d’État ? C’est par la beauté des détails, c’est par la peinture la plus vraie d’une cour corrompue. Cette tragédie, à la vérité, ne fait point verser de larmes, mais elle attache l’esprit, elle intéresse ; et le charme du style entraine tous les suffrages, quoique le nœud de la pièce soit très-petit, et que la fin, un peu froide, n’excite que l’indignation. Ce sujet était le plus difficile de tous à traiter, et ne pouvait réussir que par l’éloquence de Racine.

Il ne veut pas non plus qu’un méchant homme passe du malheur à la félicité.

Il y a de grands exemples de tragédies qui ont eu des succès permanents, et dans lesquelles cependant le vertueux périt indignement, et le criminel est au comble de la gloire ; mais au moins il est puni par ses remords. La tragédie est le tableau de la vie des grands ce tableau n’est que trop ressemblant quand le crime est heureux. Il faut autant d’art, autant de ressources, autant d’éloquence dans ce genre de tragédie, et peut-être plus que dans tout autre.

Un des interprètes d’Aristote veut qu’il n’ait parlé de cette purgation des passions dans la tragédie que parce qu’il écrivoit après Platon, qui bannit les poëtes tragiques de sa république, parce qu’ils les remuent trop fortement.

Après tout ce qu’a dit judicieusement Corneille sur les caractères vertueux ou méchants, ou mêlés de bien et de mal, nous penchons vers l’opinion de cet interprète d’Aristote, qui pense que ce philosophe n’imagina son galimatias de la purgation des passions que pour ruiner le galimatias de Platon, qui veut chasser la tragédie et la comédie, et le poëme épique, de sa république imaginaire. Platon, en rendant les femmes communes dans son Utopie, et en les envoyant à la guerre, croyait empêcher qu’on ne fit des poëmes pour une Hélène ; et Aristote, attribuant aux poëmes une utilité qu’ils n’ont peut-être pas, imaginait sa purgation des passions. Que résulte-t-il de cette vaine dispute ? Qu’on court à Cinna et à Andromaque sans se soucier d’être purgé.

Notre siècle les a vues [les conditions qu’Aristote demande] dans le Cid ; mais je ne sais s’il les a vues en beaucoup d’autres.

Le Cid, comme nous l’avons dit, n’est beau que parce qu’il est très-touchant.