Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome32.djvu/376

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par cœur plusieurs de cette pièce. C’est ce qui n’est arrivé à aucune des vingt dernières pièces de Corneille. Quelque chose qu’on écrive, soit vers, soit prose, soit tragédie ou comédie, soit fable ou sermon, la première loi est de bien écrire.

La règle de l’unité de jour a son fondement sur ce mot d’Aristote : que la tragédie doit renfermer la durée de son action dans un tour du soleil, etc.

L’unité de jour a son fondement, non-seulement dans les préceptes d’Aristote, mais dans ceux de la nature. Il serait même très-convenable que l’action ne durât pas en effet plus longtemps que la représentation, et Corneille a raison de dire que sa tragédie de Cinna jouit de cet avantage.

Il est clair qu’on peut sacrifier ce mérite à un plus grand, qui est celui d’intéresser. Si vous faites verser plus de larmes, en étendant votre action à vingt-quatre heures, prenez le jour et la nuit : mais n’allez pas plus loin. Alors l’illusion serait trop détruite.

Si nous ne pouvons la renfermer [l’action] dans deux heures, prenons-en quatre, six, dix ; mais ne passons pas de beaucoup les vingt-quatre heures, de peur de tomber dans le dérèglement, etc.

Nous sommes entièrement de l’avis de Corneille dans tout ce qu’il dit de l’unité de jour.

Je souhaiterois, pour ne point gêner du tout le spectateur, que ce qu’on fait représenter devant lui en deux heures se pût passer en effet en deux heures, et que ce qu’on lui fait voir sur un théâtre qui ne change point pût s’arrêter dans une chambre ou dans une salle… Mais souvent cela… est malaisé, pour ne pas dire impossible… etc.

Nous avons dit ailleurs[1] que la mauvaise construction de nos théâtres, perpétuée depuis nos temps de barbarie jusqu’à nos jours, rendait la loi de l’unité de lieu presque impraticable. Les conjurés ne peuvent pas conspirer contre César dans sa chambre ; on ne s’entretient pas de ses intérêts secrets dans une place publique ; la même décoration ne peut représenter à la fois la façade d’un palais et celle d’un temple. Il faudrait que le théâtre fit voir aux yeux tous les endroits particuliers où la scène se passe, sans nuire à l’unité de lieu ; ici une partie d’un temple, là le vestibule d’un palais, une place publique, des rues dans l’enfoncement : enfin tout ce qui est nécessaire pour montrer à l’œil tout

  1. Dans les remarques sur Cinna, II, i : et dans les préliminaires du Cid, tome XXXI, page 212.