Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/222

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pardon. Faites mes compliments aux preux chevaliers[1], au Parnasse, à Pollion, à Polymnie, à Varron-Dubos, el à Colbert-Melon. Eh bien ! Castor et Pollux[2] sont donc sous l’autre hémisphère jusqu’à l´année prochaine ? Mais ceux que vous me dites qui ont payé d’ingratitude les bienfaits de Pollion devraient être dans les enfers à tout jamais. Votre âme tendre et reconnaissante doit trouver ce crime horrible. Écrivez à Émilie ; elle est bien au-dessus encore de tout ce que vous me dites d’elle. Adieu ; que Berger m’écrive donc : il m’oublie.


718. — DE FRÉDÉRIC, PRINCE ROYAL DE PRUSSE.
Remusberg, 8 février 1737.

Monsieur, ne vous embarrassez nullement du bruit qui s’est répandu sur la correspondance que j’ai avec vous ; ce bruit ne nous peut faire de la peine ni à l’un ni à l’autre. Il est vrai que des personnes superstitieuses, dont il y a tant dans ce pays, et peut-être plus qu’ailleurs, ont été scandalisées de ce que j’étais en commerce de lettres avec vous : ces personnes me soupçonnent d’ailleurs de ne point croire, à la rigueur, tout ce qu’elles nomment articles de foi. Vos ennemis les ont si fort prévenues par les calomnies qu’ils répandent sur votre sujet, avec la dernière malignité, que ces bons dévots damnent saintement ceux qui vous préfèrent à Luther et à Calvin, et qui poussent l’endurcissement de cœur jusqu’à oser vous écrire. Pour me débarrasser de leurs importunités, j’ai cru que le parti le plus convenable était de faire avertir le gazetier de Hollande et d’Amsterdam qu’il me ferait plaisir de ne parler de moi en aucune façon.

Voilà, monsieur, la vérité de tout ce qui s’est passé ; vous pouvez y ajouter foi. Je peux vous assurer que je me fais honneur de vous estimer, et que je tire gloire de rendre hommage à votre génie. Je consentirai même à faire imprimer tous les endroits de mes lettres où il est parlé de vous, pour manifester aux yeux du monde entier que je ne rougis point de me faire éclairer d’un homme qui mérite de m’instruire, et qui n’a d’autre défaut que d’être trop supérieur au reste des hommes. Mais vous, monsieur, vous n’avez pas besoin d’un témoignage aussi faible que le mien pour affermir votre réputation, si bien établie par vous-même. Ce fondement est plus noble et plus solide que celui de mes suffrages. Dans tout autre siècle que celui où nous vivons, je n’aurais pas interdit au sieur Franchin la liberté de parler de moi, et même de la façon qu’il lui aurait plu. Il ne risquerait jamais de faire le Bajazet au mont Saint-Michel. C’est une règle de la prudence, et vous savez, monsieur, qu’il faut céder aux circonstances et s’accommoder au temps. Je me suis vu obligé de la pratiquer.

Vous avez reçu avec tant d’indulgence les vers que je vous ai adressés

  1. De Froulai et d’Aidie.
  2. Opéra de Bernard et de Rameau, joué en 1737.