Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que je hasarde de vous envoyer une Ode sur l’Oubli[1]. Ce sujet n’a pas été traité, que je sache. Je vous demande, monsieur, à son égard, toute l´inflexibilité d’un maître et la sévère rigidité d’un censeur. Vos corrections m’instruiront ; elles me vaudront des préceptes dictés par Apollon même, et l’inspiration des muses.

Vous me ferez plaisir, monsieur, de me marquer vos doutes sur la Métaphysique de wolff. Je vous enverrai dans peu le reste de l’ouvrage Je crois que vous l’attaquerez par la définition qu’il fait de l´être simple. Il y a une Morale[2] du même auteur : tout y est traité dans le même ordre que dans la Métaphysique ; les propositions sont intimement liées les unes avec les autres, et se prêtent, pour ainsi dire, mutuellement la main pour se fortifier. Un certain Jordan[3], que vous devez avoir vu à Paris, a entrepris la traduction. Il a quitté saint Paul en faveur d’Aristote.

Wolff établit à la fin de sa Métaphysique l’existence d’une âme différente du corps ; il s’explique sur l’immortalité en ces termes : « L’âme ayant été créée de Dieu tout d’un coup et non successivement, Dieu ne peut l’anéantir que par un acte formel de sa volonté. » Il semble croire l’éternité du monde, quoiqu’il n’en parle pas en termes aussi clairs qu’on le désirerait.

Ce que l’on peut dire de plus palpable sur ce sujet est, selon mes faibles lumières, que le monde est éternel dans le temps, ou bien dans la succession des actions ; mais que Dieu, qui est hors des temps, doit avoir été avant tout. Ce qu’il y a de bien sûr, c’est que le monde est beaucoup plus vieux que nous ne le croyons. Si Dieu de toute éternité l’a voulu créer, la volonté et le parfaire n’étant qu’un en lui, il s’ensuie nécessairement que le monde est éternel. Ne me demandez pas, je vous prie, monsieur, ce que c’est qu´éternel, car je vous avoue par avance que, en prononçant ce terme, je dis un mot que je n’entends pas moi-même. Les questions métaphysiques sont au-dessus de notre portée. Nous lâchons en vain de deviner les choses qui excèdent notre compréhension, et dans ce monde ignorant la conjecture la plus vraisemblable passe pour le meilleur système.

Le mien est d’adorer l’Être suprême, uniquement bon, uniquement miséricordieux, et qui par cela seul mérite mes hommages ; d’adoucir et de soulager, autant que je le peux, les humains dont la misérable condition m’est connue, et de m’en rapporter sur le reste à la volonté du Créateur, qui disposera de moi comme bon lui semblera, et duquel, arrive ce qui peut, je n’ai rien à craindre. Je compte bien que c’est à peu près votre confession de foi.

Si la raison m’inspire, si j’ose me flatter qu’elle parle par ma bouche,

  1. Je n’ai trouvé l´Ode sur l’Oubli ni dans les Œuvres primitives de Frédéric II, Amsterdam (Liège), 1720, quatre volumes in-8o, ni dans les Œuvres posthumes, Amsterdam (Liège), 1789, dix-neuf volumes in-8o, ni dans les Œuvres posthumes, Berlin, 1788, quinze volumes in-8o, ni dans les Œuvres posthumes, Berlin et Londres, 1789, quinze volumes in-8o, ni dans le Supplément aux œuvres posthumes, Cologne, 1789, six volumes in-8o. (B.)
  2. C’est sans doute la Philosophie morale, publiée en latin en 1732. (Cl.)
  3. Charles-Etienne Jordan, né à Berlin le 27 auguste 1700, mort le 24 mai 175. Frédéric fit son Éloge.