Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/35

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ambassadeur à Constantinople, et qui demanderait, aussi bien que la nation anglaise, justice de cette infamie, si l’auteur et l’ouvrage n’étaient pas aussi obscurs que mécbants. Ce qui est étonnant, c’est que monsieur le lieutenant de police[1] ait permis cet attentat public contre toutes les lois de la société. Voyez si on peut prévenir de pareils coups, par vos amis et les miens. Cependant je destinais à ce malheureux de Launai un petit présent, pour reconnaître la peine qu’il avait prise de lire ma pièce aux comédiens. L’abbé Moussinot devait le porter chez vous ; apparemment il vous parviendra ces jours-ci. C’est la seule vengeance que je veux prendre de de Launai ; il faut le payer de sa peine, et l’empêcher d’ailleurs de faire du mal.

Je crois au petit Lamare un caractère bien différent. Il me paraît sentir vivement l’amitié et la reconnaissance ; mais j’ai peur qu’il ne gâte tout cela par de l’étourderie, de l’impolitesse, et de la débauche. Je lui ai recommandé expressément de vous voir souvent, et de ne se conduire que par vos conseils. C’est le seul moyen par où il puisse me plaire. Je crois bien qu’il n’est pas encore digne d’entrer dans le sanctuaire de Pollion : il faut qu’il fasse pénitence à la porte de l’église, avant de participer aux saints mystères.

Ce que vous me mandez de M. l’abbé de Rothelin me touche et me pénètre. Quoique des faveurs publiques de sa part fussent bien flatteuses, ses bontés en bonne fortune me le sont infiniment. Tout ceci me fait songer à M. de Maisons, son ami. Mon Dieu, qu’il aurait été aise du succès d’Alzire ! qu’il m’en eût aimé davantage ! Faut-il qu’un tel homme nous soit enlevé !

Mandez-moi, mon cher ami, avec votre vérité ordinaire, et sans aucune crainte, tout ce qu’on dit de moi. Soyez très-persuadé que je n’en ferai jamais qu’un usage prudent, que je ne songerai qu’à faire taire le mal, et à encourager le bien. Faites-moi connaître, sans scrupule, mes amis et mes ennemis, afin que je force les derniers à ne point me haïr, et que je me rende digne des autres.

Je voudrais bien qu’en me renvoyant ma pièce vous pussiez y joindre quelques notes de Pollion et des vôtres. Que dites-vous du petit Lamare, qui ne m’a point encore écrit ? Il n’avait rien de particulier à dire à Rameau ; je ne l’avais chargé que de compliments. Les négociations ne sont confiées qu’à vous.

  1. René Hérault naquit à Rouen le 23 avril 1691, et fut nommé lieutenant général de police au mois d’auguste 1723. Il mourrut le 2 auguste 1740. (Cl.)