Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome34.djvu/410

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suis partit toutes les fois qu’il s’est agi de vous. J’étais d’autant plus disposé à le croire que vous me mandâtes, il y a quelque temps, à propos de M. de Keyserlingk, que le prince envoya de Berlin à Mme la marquise du Châtelet : Le prince nous a aussi envoyé un gentilhomme, etc. Vous ajoutiez je ne sais quoi de bruit dans le monde, à quoi je n’entendais rien : et tout ce que je comprenais, c’était que le prince vous donnait tous les agréments et toutes les récompenses que vous méritez, et que vous devez en attendre.

Enfin je croyais ces récompenses si sûres que M. de keyserlingk, qui est en effet son favori, et dont le prince ne me parle jamais que comme de son ami intime, me dit que l’intention de Son Altesse royale était de vous faire sentir de la manière la plus gracieuse les effets de sa bienveillance. Voici à peu près mot à mot ce qu’il me dit : « Notre prince n’est pas riche à présent, et il ne veut pas emprunter, parce qu’il dit qu’il est mortel, et qu’il n’est pas sûr que le roi son père payât ses dettes. Il aime mieux vivre en philosophe, attendant qu’il vive un jour en grand roi, et il serait très-fâché, alors, qu’il y eût un prince sur la terre qui récompensât mieux ses serviteurs que lui. Je vous avouerai même, continua-t-il, que l’extrême envie qu’il a d’établir sa réputation chez les étrangers l’engagera toujours à prodiguer des récompenses d’éclat sur ses serviteurs qui ne sont pas ses sujets. »

Ce fut à cette occasion que je parlai de vous à M. de keyserlingk dans des termes qui lui firent une très-grande impression. C’est un homme de beaucoup de mérite, qui s’est conduit avec le roi en serviteur vertueux, et, auprès du prince, en ami véritable. Le roi l’estime, et le prince l’aime comme son frère. Mme la marquise du Châtelet l’a si bien reçu, lui a donné des fêtes si agréables, avec un air si aisé, et qui sentait si peu l’empressement et la fatigue d’une fête, elle l’a forcé d’une manière si noble et si adroite à recevoir des présents extrêmement jolis, qu’il s’en est retourné enchanté de tout ce qu’il a vu, entendu, et reçu. Ses impressions ont passé dans l’âme du prince royal, qui en a conçu pour Mme la marquise du Châtelet toute l’estime, et, j’ose dire, l’admiration qu’elle mérite. Je vous fais tout ce détail, mon cher ami, pour vous persuader que M. de keyserlingk doit être homme par qui les bienfaits du prince doivent tomber sur vous.

Je vous répète que je suis bien content de la politique habile et noble que vous avez mise dans le refus adroit d’une petite pension, et si, par hasard (car il faut prévoir tout), il arrivait que