Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome35.djvu/163

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on pompera l’air, et je suppose que le pois ne croîtra point, parce que j’attribue à l’air cette vertu productrice et cette force qui développe les semences.

J’ai donné de plus quelque besogne à nos académiciens ; il m’est venu une idée sur la cause des vents, que je leur ai communiquée, et notre célèbre Kirch pourra me dire, au bout d’un an[1], si mon assertion est juste, ou si je me suis trompé. Je vous dirai en peu de mots de quoi il s’agit. On ne peut considérer que deux choses comme les mobiles du vent : la pression de l’air et le mouvement. Or je dis que la raison qui fait que nous avons plus de tempêtes vers le solstice d’hiver, c’est que le soleil est plus voisin de nous, et que la pression de cet astre sur notre hémisphère produit les vents. De plus, la terre, étant dans son périgée, doit avoir un mouvement plus fort, en raison inverse du carré de sa distance, et ce mouvement, influant sur les parties de l’air, doit nécessairement produire les vents et les tempêtes. Les autres vents peuvent venir des autres planètes avec lesquelles nous sommes dans le périgée. De plus, lorsque le soleil attire beaucoup d’humidités de la terre, ces humidités, qui s’élèvent et se rassemblent dans la movenne région de l’air, peuvent, par leur pression, causer également des vents et des tourbillons[2]. M. Kirch observera exactement la situation de notre terre, à l’égard du monde planétaire ; il remarquera les nuages, et il examinera avec soin pour voir si la cause que j’assigne aux vents est véritable.

En voila assez pour la physique. Quant à la poésie, j’avais formé un dessein ; mais ce dessein est si grand qu’il m’épouvante moi-même lorsque je le considère de sang-froid. Le croiriez-vous ? j’ai fait le projet d’une tragédie ; le sujet est pris de l’Énéide ; l’action de la pièce devait représenter l’amitié tendre et constante de Nisus et d’Euryale. Je me suis proposé de renfermer mon sujet en trois actes, et j’ai déjà rangé et digéré les matériaux ; ma maladie est survenue, et Nisus el Euryale me paraissent plus redoutables que jamais.

Pour vous, mon cher ami, vous m’êtes un être incompréhensible. Je doute sil y a un Voltaire dans le monde ; j’ai fait un système pour nier son existence. Non, assurément, ce n’est pas un homme qui fait le travail prodigieux qu’on attribue à M. de Voltaire. Il y a à Cirey une académie composée de l’élite de l’univers ; il y a des philosophes qui traduisent Newton ; il y a des poètes héroïques, il y a des Corneille, il y a des Catulle, il y a des Thucydide ; et l’ouvrage de cette académie se publie sous le nom de Voltaire, comme l’action de toute une armée s’attribue au chef qui la commande. La Fable nous parle d’un géant qui avait cent bras ; vous avez mille génies. Vous embrassez l’univers entier, comme Atlas, qui le portait.

Ce travail prodigieux me fait craindre, je l’avoue. N’oubliez point que, si votre esprit est immense, votre corps est très-fragile. Ayez quelque égard,

  1. Christfried Kirch mourut un an après la date de cette lettre, c’est-à-dire le 9 mars 1740. Vovez la fin de la lettre de Frédéric, du 3 mai, même année.
  2. Dans sa lettre à Voltaire, du 22 mars 1739, Frédéric reconnaît lui-même que cet article de physique renferme des erreurs.