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rature, et qu’il me prévenait par les plus grandes bontés, je ne balançai pas à lui envoyer cette première esquisse, tout informe qu’elle était. Il me manda depuis qu’il avait perdu ce manuscrit à la bataille de Sohr, dans son équipage, dont les housards autrichiens s’étaient emparés.

C’est ce manuscrit, très-défectueux par lui-même, qui vient de paraître en Hollande, et dont on a fait deux éditions à Paris. Jamais ouvrage n’a été imprimé d’une manière si fautive. Les omissions, les interpolations mal placées, les fautes de calcul, les noms défigurés, les fausses dates, rendent le livre ridicule. Il est de plus intitulé Abrégé de l’Histoire jusqu’à Charles-Quint, et il ne va que jusqu’au roi de France Louis XI. Tous les autres manuscrits, qui sont en grand nombre, sont beaucoup plus amples et très-différents. J’avais absolument abandonné ce grand ouvrage, parce que j’ai perdu depuis longtemps la partie qui était pour moi la plus intéressante : c’est celle des sciences et des arts. Il me faudrait une année entière pour finir cette grande entreprise, et il faudrait que j’eusse le secours d’une grande bibliothèque comme celle de Paris ou de M. le comte de Bruhl. Il me faudrait encore de la santé. Voilà bien des choses qui me manquent. Je ne sais s’il est de votre intérêt de vous charger d’une nouvelle édition de l’Histoire imparfaite de Jean Néaulme, dont le public est inondé ; mais en cas que vous persistiez dans ce dessein, je vais travailler sur-le-champ à un ample errata : peut-être que les objets intéressants qui sont traités dans cet ouvrage, paraissant avec plus de corrections, vous procureront quelque débit.


2681. — À. M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Colmar, le 15 janvier 1754.

Mon cher ange, je dresserai un petit autel d’Esculape à M. Fournier[1], puisqu’il vous a guéris, vous et ma nièce. Vous ne me parlez point de la santé de Mme d’Argental ; je dois supposer qu’elle jouit enfin de ce bien inestimable qu’elle n’a jamais connu. Cet autre bien, que les Fournier ne donnent pas, m’est ravi trop longtemps ; il est bien cruel de vivre loin de vous. Le séjour de Colmar m’est devenu nécessaire pour ces Annales de l’Empire que j’avais entreprises. J’aime à finir tout ce que j’ai commencé. J’ai trouvé à Colmar des secours que je n’aurais point eus ailleurs ;

  1. Ou Fournié, médecin du duc d’Orléans.