Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/167

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et, dans la cruelle situation où je suis, accablé de maladies, et n’étant point sorti de ma chambre depuis trois mois, j’ai trouvé de la consolation dans la société de quelques personnes instruites[1]. On en trouve toujours dans une ville où il y a un parlement, et vous m’avouerez que je n’aurais pu ni faire imprimer les Annales de l’Empire à Sainte-Palaye, ni trouver dans cette solitude beaucoup de secours dans l’état affreux où je suis. Si ma santé me permet d’aller à Sainte-Palaye au printemps, je ne prendrai ce parti qu’en cas que les maîtres du château veuillent bien le louer pour le temps que j’y demeurerai. J’y pourrai faire venir par eau mes livres et quelques meubles ; je ne peux vivre sans livres ; une campagne sans eux serait pour moi une prison. Il est vrai que Sainte-Palaye est un peu loin de Paris, et qu’il vaudrait mieux choisir quelque séjour moins éloigné, puisque vous me flattez, mon cher ange, d’y venir quelquefois ; mais si je ne trouve rien de plus voisin de Paris, il faudra s’en tenir à Sainte-Palaye.

Je compte vous envoyer le premier tome des Annales de l’Empire. Ce ne sont pas de vastes tableaux des sottises et des horreurs du genre humain, comme cette Histoire universelle ; mais c’est un objet plus intéressant que l’Histoire de France, pour tout autre qu’un Français. Les gens instruits disent que ces Annales sont assez exactes, et ce n’est pas assez ; je les aurais voulues moins sèches. Il faut plaire en France ; dans le reste du monde il faut instruire. Ce livre sera bien moins couru à Paris que l’Abrègè tronqué de l’Histoire universelle ; mais il vaudra beaucoup mieux. Pour qu’un livre réussisse à Paris, il faut qu’il soit hardi et ingénieux ; pour qu’une tragédie ait du succès, il faut qu’elle soit tendre. Ce n’est pas le bon qui plaît, c’est ce qui flatte le goût dominant. Je ne me sens pas trop d’humeur à parler d’amour aux Parisiens sur le théâtre, et je hais un métier dont les désagréments m’avaient fait quitter Paris. Il ne me faut à présent qu’une retraite et un ami tel que vous. Adieu, mon cher ange ; vos lettres me consolent et me font supporter une vie bien cruelle.


2682. — À MADAME LA COMTESSE DE LUTZELBOURG.
À Colmar, 23 janvier.

On m’avait dit, madame, que vous étiez à Andlau, et on me dit à présent que vous êtes à l’île Jard. Je regrette toujours ce

  1. L’avocat Dupont était du nombre de ces personnes.