Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/182

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général nommé Muller, homme supérieur[1], porta son Bayle dans la place publique, et le brûla lui-même ; plusieurs génies du pays en firent autant. Comme vous êtes secrétaire d’État de la province, je vous supplie de m’envoyer votre Bayle bien relié afin que je le brûle dès que je pourrai sortir.

Je vous avais supplié de m’honorer d’un petit mot de protection auprès du procureur général, pour éviter un extrême ridicule, dont le scandale irait aux oreilles du roi ; mais j’ai peut-être mal pris mon temps, et j’ai bien peur que, dans un accès de goutte, vous n’ayez eu pour moi un accès d’indifférence. Mais je consens à être excommunié, moi et mon Histoire prétendue universelle, si vous êtes quitte de votre goutte.

Je suis fâché de dire à un grand ministre que j’ai un peu le scorbut et quelque atteinte d’hydropisie. Je vous supplie très-humblement de croire que je suis obligé, pour ne point mourir, de voyager et de chercher quelque abri un peu chaud.

Comme je n’ai reçu aucun ordre positif du roi, et que je ne sais ce qu’on me veut, je me flatte qu’il me sera permis de porter mon corps mourant où bon me semblera. Le roi a dit à Mme de Pompadour qu’il ne voulait pas que j’allasse à Paris : je pense comme Sa Majesté, je ne veux point aller à Paris ; et je suis persuadé qu’elle trouvera bon que je me promène au loin. Je remets le tout à votre bonté et à votre prudence ; et, si vous jugez à propos d’en dire un mot au roi, in tempore opportuno, et de lui en parler comme d’une chose simple qui n’exige point de permission, je vous aurai réellement obligation de la vie. Je suis persuadé que le roi ne veut pas que je meure dans l’hôpital de Colmar.

En un mot, je vous supplie de sonder l’indulgence du roi. Il est bien affreux de souffrir tout ce que je souffre pour un mauvais livre qui n’est pas de moi. Je suis dans votre département, ainsi ma prière et mon espérance sont dans les règles.

Daignez me faire savoir si je puis voyager ; je vous aurai l’obligation d’exister, et je vivrai plein du plus tendre respect pour vous. Pardon de cette énorme lettre, etc.

  1. George-Ignace Muller était avocat général au conseil supérieur d’Alsace séant à Colmar (voyez lettres 2700 et 2709). Ce conseil, sans avoir le titre de parlement, en avait l’autorité, les ornements, et aussi l’hérèdité des charges.