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année 1754.

dépend de l’envie et de la méchanceté des hommes a fait mes malheurs. J’ai toujours eu la précaution de soustraire à cette méchanceté une partie de mon bien. Voilà pourquoi j’en ai à Cadix, à Leipsick, en Hollande, et dans les domaines du duc de Wurtemberg.

Ce qui est à Cadix est un objet assez considérable[1], et pourrait seul suffire à mes héritiers. Je me prive jusqu’à présent des émoluments de cette partie, afin qu’elle produise de quoi remplacer en leur faveur ce que j’ai placé en rentes viagères.

Ces rentes viagères[2] sont un objet assez fort, et je comptais qu’elles serviraient à me faire vivre avec Mme Denis d’une manière qui lui serait agréable, et qu’elle tiendrait avec moi dans Paris une maison un peu opulente. L’obstacle qui détruit cette espérance sur la fin de mes jours est au nombre des choses qui ne dépendaient pas de moi.

On m’a fait craindre la persécution la plus violente au sujet de l’impression d’un livre à laquelle je n’ai nulle part[3]. Menacé de tous côtés d’être traité comme l’abbé de Prades[4] ; instruit qu’on me saisirait jusqu’à mes rentes viagères si je prenais le parti forcé de chercher dans les pays étrangers un asile ignoré ;

    circonstances réparèrent ces pertes. Le roi lui avait donné une charge de gentilhomme de la chambre, puis lui permit de la vendre en en conservant les honneurs. Vers le même temps il hérita de son frère. Un état de ses revenus arriérés pour les années 1749-50, donné par Longchamp (dans ses Mémoires, tome II, page 334), s’élève à 74,038 fr. Pendant son séjour à Berlin il avait la table, le logement, une voiture, et 16,000 fr. de pension. L’année même qu’il acheta Ferney, il écrivait à d’Argental, le 13 mai 1758, avoir perdu le quart de son bien par des frais de consignation. On voit par une lettre au même, du 30 janvier 1761, qu’il avait alors 45,000 fr. de rentes dans les pays étrangers. Ce qu’il possédait en France était beaucoup plus considérable. Il avait fait construire des maisons qu’il avait vendues en rentes viagères à 6 et 7 pour cent avec réversibilité d’une partie sur la tête de Mme Denis. Il avait construit Ferney, et avait plus que doublé le revenu de cette terre, qui, dans les dernières années, lui rapportait de 7 à 8,000 fr. Les dépenses de sa maison n’allaient qu’à 40,000 fr. ; ses rentes et revenus s’élevaient, à sa mort, à 100,000 fr. Il laissa à Mme Denis près de 100,000 fr. de rentes et 600,000 en argent comptant et effets. La terre de Ferney fut, en 1778, vendue 230,000 fr. (B.)

  1. On a vu, dans la note précédente, que le fonds primitif était de six cent mille francs. (B.)
  2. Ces rentes viagères furent fort onéreuses aux débiteurs. Le marquis de Lézeau eut à servir pendant quarante-cinq ans la rente de 1,800 fr. pour les 18,000 placés chez lui en 1733 (voyez tome XXXIII, page 352) ; il ne la payait pas exactement. Dans l’état rapporté par Longchamp, et dont j’ai parlé, Lézeau est porté pour 2,300 fr., c’est-à-dire près de dix-huit mois d’arriéré. (B.)
  3. Les deux volumes publiés en 1753 sous le titre d’Abrégé de l’Histoire universelle.
  4. Voyez tome XXIV, pages 17 et suiv.