Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/200

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sachant que je ne pourrais toucher mon revenu qu’avec des certificats que je n’aurais pu donner ; voyant combien les hommes abusent des malheurs qu’ils causent, et qu’on me doit plus de quatre années de plusieurs parties ; obligé de rassembler les débris de ma fortune ; ayant tout mis entre les mains d’un notaire très-honnête homme, mais à qui ses affaires ne permettent pas de m’écrire une fois en six mois ; ayant enfin besoin d’un commissionnaire, j’en ai demandé un à ma nièce et à M. d’Argental. Ce commissionnaire, chargé d’envoyer à une adresse sûre tout ce que je lui ferais demander, épargnerait à ma nièce des détails fatigants. Il serait à ses ordres ; il servirait à faire vendre mes meubles ; il solliciterait les débiteurs que je lui indiquerais ; il enverrait toutes les petites commodités dont on manque dans ma retraite.

Cette retraite peut-elle être Sainte-Palaye ? Non. Je ne puis achever le peu d’années qui me restent, seul, dans un château qui n’est point à moi, sans secours, sans livres, sans aucune société.

La santé de Mme Denis, altérée, ne lui permet pas de se confiner à Sainte-Palaye : un tel séjour n’est pas fait pour elle ; il y aurait eu de l’inhumanité à moi de l’en prier. Il faut qu’elle reste à Paris, et pour elle et pour moi : sa correspondance fera ma consolation.

Je n’ai eu d’autre vue que de la rendre heureuse, de lui assurer du bien, et de me dérober aux injustices des hommes. Je n’ai ni pensé, ni écrit, ni agi que dans cette vue.


2714. — À MADAME LA DUCHESSE DE SAXE-GOTHA[1].
À Colmar, le 13 mars.

Madame, pardonnez à un pauvre malade languissant, s’il n’a pas l’honneur d’écrire de sa main à Votre Altesse sérénissime. J’ai bien peur qu’elle-même ne soit malade, et que les vents du nord et les neiges ne respectent pas la Thuringe. Dieu fait bien ce qu’il fait ; mais j’oserais prendre la liberté de lui demander un peu plus de soleil. Je compte, madame, mettre ces jours-ci aux pieds de Votre Altesse sérénissime le second tome de l’ouvrage qui est sous votre protection. Je prends auparavant la liberté, et je m’acquitte du devoir, de lui envoyer et de lui soumettre ce dernier hommage par lequel je finis le livre.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.