Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/209

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dois, ni ne puis me plaindre que le diable m’ait affublé d’une petite antienne[1] publiée à Cassel, chez Etienne. J’ai marqué simplement ce fait pour développer le caractère de ce diable, qui se donne si faussement pour n’être point faiseur d’antiennes. Ce méchant diable, à qui j’avais toujours fait patte de velours, depuis la préférence que me donna sur lui l’illustre diable[2] dont vous me parlez, a toujours aiguisé ses griffes contre moi.

Je conçois qu’un diable aille à la messe quand il est en terre papale, comme Nancy ou Colmar ; mais vous devez gémir lorsqu’un enfant de Belzébuth va à la messe par hypocrisie ou par vanité.

Chaque diable, mon très-révérend père, a son caractère. Nous sommes de bons diables, vous et moi, francs et sincères ; mais, en qualité de damnés, nous prenons feu trop aisément. Le belzébutien est plus cauteleux ; jugez-en par l’anecdote suivante.

En l’an de disgrâce 1738, il prit dans ses griffes deux habitantes de la zone glaciale, et écrivit à tous ses amis, comme à moi, que c’était le chirurgien de la troupe mesurante qui avait enlevé ces deux pauvres diablesses ; et, en conséquence, il fit d’abord faire une quête pour elles, comme réparateur des torts d’autrui. Je lui envoyai cinquante écus du faubourg d’enfer nommé Cirey, où j’étais pour lors. Le diablotin Thieriot porta lesdites cent cinquante livres tournois ; témoin la lettre du diablotin Thieriot, que j’ai retrouvée parmi mes papiers, en date du 24 décembre 1738, à Paris : « Mon cher ami, je portai hier les cinquante écus au père , de l’Académie des sciences, et je lui étalai tout ce que me faisait sentir votre générosité pour les deux créatures du Nord. Je voudrais bien qu’une si bonne action fût suivie, etc. »

Vous voyez, mon cher père et compère d’enfer, qu’il n’y a rien de si différent que diable et diable, et qu’il faut admettre le princijie des indiscernables d’Asmodée-Leibnitz ; mais surtout, mon cher réprouvé, gardez-vous des langues médisantes. Je n’ai jamais connu de damné plus crédule que vous. Souvenez-vous de la parole sacrée que nous nous sommes donnée, dans le caveau de Lucifer, de ne jamais croire un mot des tracasseries que pourraient nous faire des esprits immondes déguisés en anges de lumière.

Si je n’étais pas assez près d’aller voir Satan, notre père com-

  1. Voyez la lettre du 4 juin 1753, à d’Argental.
  2. Frédéric II.