Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/257

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Mme Denis et moi, les cinq pavillons réguliers ; mais il n’y a pas moyen d’y loger ; les appartements sont trop froids. Nous avons été confondus du mauvais effet que fait l’art détestable de l’amplification ; alors je n’ai eu de ressource que d’embellir trois corps de logis ; j’y ai travaillé avec ce courage que donne l’envie de vous plaire ; enfin nous sommes très-contents. Ce n’est pas peu que je le sois ; je vous réponds que je suis aussi difficile qu’un autre. J’ose vous assurer que c’est un ouvrage bien singulier, et qu’il produit un puissant intérêt depuis le premier vers jusqu’au dernier. Il vaut mieux certainement donner quelque chose de bon en trois actes que d’en donner cinq insipides, pour se conformer à l’usage. Il me semble qu’il serait très à propos de faire jouer cette nouveauté immédiatement avant le voyage de Fontainebleau, supposé que l’ouvrage vous paraisse aussi passable qu’à nous ; supposé que cela ne fasse aucun tort à Rome sauvée ; supposé encore qu’on ne trouve dans nos Chinois rien qui puisse donner lieu à des allusions malignes,. J’ai eu grand soin d’écarter toute pierre de scandale. Le conquérant tartare serait à merveille entre les mains de Lekain ; La Noue a assez l’air d’un littré chinois, ou plutôt d’un magot : c’est grand dommage qu’il ne soit pas cocu. Idamé est coupée sur la taille de Mlle Clairon. Peut-être les circonstances présentes[1] seraient favorables ; en tout cas, je vais faire transcrire l’ouvrage ; indiquez-moi la façon de vous l’envoyer par la poste.

Ce que vous me mandez, mon cher ange, de mon troisième[2] volume, me fait un extrême plaisir : plus il sera lu, et plus les gens raisonnables seront indignés contre le brigandage et l’imposture qui m’ont attribué les deux premiers ; ils seront bientôt prêts à paraître de ma façon. Il ne me faut pas six mois pour que tout l’ouvrage soit fini, pour peu que j’aie, je ne dis pas une santé, mais une langueur tolérable. Je ne demande, pour travailler beaucoup, qu’à ne pas souffrir beaucoup. Tout cela sera sans préjudice de Zulime, sur laquelle j’ai toujours de grands desseins. Voilà toute mon âme mise aux pieds de mes anges.

Vous pouvez donc à présent aller à la comédie ? Le ciel en soit béni ! Daignez donc faire mes compliments à Hérode[3] quand vous le rencontrerez dans le foyer. Pardon de la liberté grande[4].

  1. La dauphine était sur le point d’accoucher ; le duc de Berry (Louis XVI) naquit le 23 août.
  2. Le troisième volume de l’Abrégé de l’Histoire universelle venait de paraître
  3. Lekain, qui joua ce rôle avec un grand succès.
  4. Mémoires de Gramont, chap. iii.