Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/260

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de vous envoyer tout l’édifice de ma façon. On verra une énorme didérence, et on me rendra justice. Votre suffrrage, si vous avez le temps de le donner, sera la plus chère récompense de mes pénibles travaux.

Mme Denis, ma garde-malade, et moi, nous vous présentons les plus tendres respects.


2780. — À M. DE BRENLES.
À Colmar, le 13 août.

Mon voyage de Plombières, monsieur, et l’état languissant où je suis toujours, m’ont empêché de vous dire plus tôt combien je vous sais gré de servir les trois dieux[1] qui président à votre ménage, Mme de Brenles et vous, vous en ajoutez un quatrième qui embellit les trois autres, c’est l’esprit, et l’esprit éclairé. Que votre charmante compagne reçoive ici mes remerciements et mon admiration ! Que ne puis-je venir voir tous vos dieux !. J’ai avec moi, à Collmar, une nièce qui est veuve d’un officier du régiment de Champagne ; elle aime les lettres, elle les cultive comme Mme de Brenles. Son amitié pour moi l’a engagée à être ma garde-malade. Elle est assez philosophe pour ne pas refuser de se retirer avec moi dans quelque terre, et cette même philosophie ne lui ferait pas haïr un pays libre. Cette précieuse liberté et votre voisinage seraient deux belles consolations de ma vieillesse ; vous savez qu’il y a longtemps que j’y pense. On dit qu’il y a actuellement une assez belle terre à vendre, sur le bord du lac de Genève. Si le prix n’en passe pas deux cent mille livres de France, l’envie d’être votre voisin me déterminerait. Une moins chère conviendrait encore, pourvu que le logement et la situation surtout fussent agréables. Que ce soit à cinq ou six lieues de Lausanne, il n’importe : tout serait bon, pourvu qu’on y fût le maître, et qu’on pût avoir l’honneur de vous y recevoir quelquefois. S’il y a, en effet, une terre agréable à vendre dans vos cantons, je vous prie, monsieur, d’avoir la bonté de me le mander ; mais il faudrait que la chose fût secrète. J’enverrais une procuration à quelqu’un qui l’achèterait d’abord en son nom. Vous n’ignorez pas les ménagements que j’ai à garder. Je ne veux rien ébruiter[2], rien afficher, et je ne dois me fermer aucune porte.

  1. Voyez le second alinéa de la lettre 2743.
  2. Les jésuites de la haute Alsace espionnaient sans cesse l’auteur de Mahomet, et ils parvinrent à l’empêcher de s’établir aux environs de Colmar, comme il en avait d’abord eu le dessein. (Cl.)