Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/28

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devenir le premier ministre de César Borgia. Vous faites déposer sa lettre à Leipsick, tronquée apparemment, devant les magistrats de la ville. Que Machiavel aurait applaudi à ces stratagèmes ! Y avez-vous aussi déposé les libelles que vous avez faits contre lui ? Jusqu’à présent vous aviez été brouillé avec la justice, mais par une adresse singulière vous trouvez moyen de vous la rendre utile : c’est ce qui s’appelle faire servir ses ennemis à ses desseins. Pour moi, qui ne suis qu’un bon Allemand et qui ne rougis point de porter le caractère de candeur attaché à cette nation, je ne vous écris point moi-même, parce que je n’ai pas assez de finesse pour composer une lettre dont on ne puisse pas faire mauvais usage… Tous ces grands talents qui me sont connus dans votre personne m’obligent à quelque circonspection, et vous ne devez pas vous étonner si, par la main de mon secrétaire, je vous recommande à la sainte garde de Dieu, quand vous êtes abandonné des hommes[1].

P. S. Vous pouvez faire imprimer cette lettre à côté de celles du pape, des cardinaux de Fleury et d’Albéroni ; mais ne soyez pas assez maladroit pour y changer quelque chose, parce que nous on avons un vidimas en justice[2].


2549. — NOTE DE LA GAZETTE D’UTRECHT
du 20 avril 1753.

Extrait d’une lettre particulière de Berlin, du 10 avril : On a été surpris ici de voir dans la Gazette d’Utrecht du 3 avril, sous la date de Berlin du 27 mars, un article (que l’on a requis l’auteur d’y insérer) et dans lequel il était dit que, la santé de M. de Voltaire étant fort dérangée, il avait renouvelé ses instances au roi pour en obtenir la permission de se retirer ; qu’il avait remis à Sa Majesté sa clef et la croix d’or, on renonçant à ce qui pouvait lui être dû de ses pensions ; mais qu’il n’avait pu encore obtenir son congé. Il est clair qu’en engageant l’auteur de la même gazette à publier pareille chose, on lui en a imposé, surtout par rapport au dernier article, puisque M. de Voltaire a reçu l’argent de ses pensions jusqu’au jour de son départ. Le 16 mars, le roi fit la réponse suivante à une lettre qui lui avait été remise de sa part, et dans laquelle ce poëte l’avertissait entre autres que M. Kœnig avait dessein d’écrire contre Sa Majesté[3]. (Suit la lettre 2534)

  1. Cette lettre a été imprimée originairement dans la Vie de Maupertuis, par La Beaumelle, et dans les Mémoires du duc de Luynes, avec cette mention : « Copie de la lettre du roi de Prusse à Voltaire du 19 avril 1753, communiquée à M. de Mirepoix par ordre du roi. » Cette lettre est-elle bien authentique ? Voltaire l’a-t-il reçue ? S’il l’a reçue, elle aurait dû, à ce qu’il nous semble, lui inspirer moins de sécurité dans la suite de son voyage.
  2. Ce post-scriptum paraît encore plus suspect que le corps de la lettre.
  3. Cette note et cette communication avaient également paru dans la Gazette de Hollande du 17 avril. Elles avaient été faites par ordre de Frédéric II.