Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/323

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que peuvent de pauvres Suisses comme nous ? Ne feriez-vous pas bien d’engager, si vous pouvez, M. de Monconseil à faire parler madame sa femme ? Gare encore que le procureur général ne demande la comptabilité ! Je ne suis pas né heureux, mais je le serais assurément si je pouvais vous servir. La poste part ; je n’ai que le temps de vous rendre compte du devoir dont je me suis acquitté. Mille compliments à Mme Dupont. Ne m’oubliez pas auprès de M. et Mme de Klinglin. Adieu. Si vous êtes prévôt, je vous promets de venir vous voir. V.


2842. — À M. LE MARÉCHAL DUC DE RICHELIEU.
Au château de Prangins, près de Nyon, au pays
de Vaud, le 5 janvier.

Je vous souhaite, monseigneur, la continuation durable de tout ce que la nature vous a prodigué ; je vous souhaite des jours aussi longs qu’ils sont brillants, et je ne souhaite à moi chétif que la consolation de vous revoir encore. Il fallait, pour arriver ici, m’y prendre un peu de bonne heure. Le mont Jura est couvert de neige au mois de janvier, et vous savez que je ne pouvais demeurer dans une ville où l’homme le plus considérable[1] n’avait pas seulement daigné me recevoir avec bonté, mais avait encore publié son peu de bienveillance. Je suis loin de me repentir d’un voyage qui m’a procuré le bonheur de vous retrouver ; bonheur trop court pour moi, après lequel je soupirais depuis si longtemps.

J’ose espérer qu’on ne m’enviera pas la solitude que j’ai choisie, et qu’on trouvera bon que je ne la quitte que pour vous faire encore ma cour, quand vous reviendrez dans votre royaume. Vous savez que j’ai toujours envisagé la retraite comme le port où il faut se réfugier après les orages de cette vie. Vous savez que je vous aurais demandé la permission de finir mes jours à Richelieu, s’il eût été dans la nature d’un grand seigneur de France de pouvoir vivre sans dégoût dans son propre palais ; mais votre destinée vous arrête à la cour pour toute votre vie.


Un homme tel que vous jamais ne s’en détache ;
Il n’est point de retraite ou d’ombre qui le cache ;
Et, si du souverain la faveur n’est pour lui,
Il faut ou qu’il trébuche, ou qu’il cherche un appui[2].

  1. Le cardinal de Tencin.
  2. Othon, acte I, sc. i. Voyez la lettre du 12 janvier 1739, à Richelieu.