Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/324

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce sont des vers de Corneille que vous me citiez autrefois, et que sans doute vous vous rappelez encore. Appelez-moi du fond de mon asile, quand il vous plaira ; et, tant que j’aurai des forces, je viendrai encore jouir du plaisir de vous renouveler le tendre respect et l’inviolable attachement que j’ai pour vous.

On ne dira pas que je n’aime point ma patrie, puisque celui qui lui fait le plus d’honneur est celui qui peut tout sur moi.

Mme Denis partage mes sentiments, et vous présente les mêmes hommages, Elle paraît bien ferme dans la résolution de supporter ma solitude, Les femmes ont plus de courage qu’on ne croit,


2843. — À M. DE BRENLES,
À Prangins, le 7 janvier.

Vous faites très-bien, monsieur, de ne point venir à Prangins, où il n’y a, à présent, que du froid et du vent. Je commence à vous être attaché de manière à préférer votre bien-être à mon plaisir. Je vais faire mes efforts, tout malade que je suis, pour me rapprocher de vous, et pour jouir de votre présence réelle. J’ai déjà conclu pour Monrion[1] sans l’avoir vu, et je me flatte que M. de Giez[2] ne signera de marché qu’avec moi. J’irai voir Monrion dès que je serai quitte de trois ou quatre rhumatismes qui m’empêchent de vous écrire de ma main. Il faut bien voir par bienséance la maison qu’on achète ; mais vous sentez que vous et Mme de Brenles vous êtes le véritable objet de mon voyage. J’ai grande impatience de venir achever de vivre avec des philosophes.

Je reçois dans ce moment une lettre[3] de monseigneur l’électeur Palatin, qui me paraît philosophe aussi. Il me mande qu’il a été sur le point de mourir ; il veut que je vienne le voir incessamment, mais je vous jure que vous aurez la préférence.

  1. Monrion ou Mont-Riond (Mons rotondus), nom donné à un crêt ou monticule planté de vignes, situe entre Lausanne et le lac Léman, et tout près duquel se trouve, en se rapprochant de la droite du chemin qui descend de la même ville au petit port d’Ouchy, la maison de Monrion dont parle ici Voltaire. Voltaire commença à y demeurer le 16 décembre 1755 ; il y resta jusqu’au 10 mars 1756. Entre le 9 janvier 1757 et les premiers jours d’avril suivant, il y fit une autre station de trois mois. Cette maison fut habitée plus tard par le médecin Tissot, qui en devint propriétaire, (Cl.)
  2. Giez, dont le nom se prononce , ou Gies, dans le canton de Vaud, était un jeune Suisse, banquier de Voltaire. Il mourut environ dix mois plus tard. — Lettres du 26 septembre et du 24 octobre 1755, à Brenles.
  3. Celle du 29 décembre 1754.