Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/339

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compris ; elle est du vieux Crébillon : cela m’avertit que les vieillards doivent cesser de se montrer en public.

Croiriez-vous, madame, qu’à mon passage à Cassel, le prince de Hesse me parla beaucoup de ce qui fait aujourd’hui son embarras et celui de sa maison[1] ? Il avait quelque confiance en moi, et j’ose croire que si j’étais resté plus longtemps dans cette cour, j’aurais prévenu ce qui est arrivé. Il serait resté damné, et il aurait vécu tranquille.

La religion catholique est sans doute la meilleur, comme Votre Altesse sérénissime le sait : mais la balance de l’Allemagne est bonne aussi, et cette balance est perdue si tous les princes se font catholiques. Il est bon qu’il y ait un nombre égal en enfer et en paradis.

Madame, le vrai paradis est votre cour, et vous êtes la sainte que j’adorerai toujours avec le plus profond respect.


2860. — À M. DE GAUFFECOURT[2].
À Prangins, 30 janvier 1755.

Mme Denis et moi, monsieur, nous apprenons par M. Marc Chappuis[3] les nouvelles obligations que nous vous avons. Je voudrais pouvoir vous écrire de ma main, mais je suis tout perclus sur les bords de votre lac. Le soleil de Montpellier me serait plus favorable que les glaces du mont Jura. Je n’ai point eu la force d’aller aux bains d’Aix en Savoie, dans une saison si rigoureuse. Il faut attendre le retour du printemps, et le vôtre, pour adoucir tant de souffrances. On me fait craindre que les mêmes personnes qui ont donné sous mon nom une prétendue Histoire universelle, remplie de fautes absurdes, n’impriment aussi un poëme composé il y a plus de vingt ans[4], qu’elles défigureront de même. Les belles-lettres ne sont pas faites pour rendre heureux ceux qui les cultivent, et notre royaume n’est pas de ce monde[5]. Je me console avec ma garde-malade des maux que me font la nature, la fortune, et les imprimeurs : son courage m’en

  1. Voyez la lettre à la duchesse, du 16 décembre 1754.
  2. Fermier des sels du Valais. C’est de lui qu’il est question dans les Confessions de J.-J. Rousseau. Il demeurait alors chez le comte de Bellegarde, envoyé de Pologne, rue Saint-Marc, et avait loue à Montbrillant, tout prés de Genève et à côté des Délices, une campagne où il passait les étés.
  3. Voyez la lettre 2855.
  4. La Pucelle.
  5. Jean, xviii, 36.