Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/340

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donne beaucoup ; elle brave les neiges et mes malheurs, et me rend tout cela très-supportable. Vous m’avouerez que, sans elle, il serait assez dur de n’être entouré que des Alpes, et d’être privé même de la consolation d’avoir ses livres. Nous manquons de tout assez patiemment ; mais nous espérons vous revoir cet été, et alors nous ne manquerons de rien. On prétend que je ne saurais vivre, et que je suis un homme mort si je m’éloigne du docteur Tronchin. Il faut que je sois désespéré si je crois enfin à la médecine : je crois bien davantage à votre amitié ; c’est elle qui m’autorise à présenter mes respects à M. le comte de Bellegarde. Je suis persuadé que vous ne m’oublierez point auprès de M. de La Popelinière, et que la philosophe[1] se souviendra de moi. À propos de philosophie, voyez-vous toujours messieurs de l’Encyclopédie ? Ce sont des seigneurs de la plus grande terre qui soit au monde. Je souhaite qu’ils la cultivent toujours avec une entière liberté ; ils sont faits pour éclairer le monde hardiment, et pour écraser leurs ennemis. Adieu, monsieur ; souvenez-vous de deux solitaires qui vous seront toujours bien tendrement attachés. Je vous embrasse.


2861. — À M. LE CONSEILLER D’ÉTAT F. TRONCHIN[2].
À Prangins, 30 janvier.

Il y a trois jours que je suis au lit. Vous avez dans votre famille le successeur du grand Boerhaave : vous savez combien ma mauvaise santé exige que je me rapproche de lui. Les bontés que vous avez pour moi, et toutes celles dont on m’a honoré à Genève, me rendent ce séjour si cher que je ne balance pas à demander au Magnifique Conseil la permission d’habiter dans le territoire de la république, sous son bon plaisir. Je n’ose prendre la liberté de lui écrire, persuadé que votre recommandation doit avoir plus de poids que mes prières. Je ne manquerai pas de venir présenter mes respects à monsieur le premier syndic et à messieurs les conseillers d’État dès que je serai en état de me transporter à Genève. Je me serais déjà acquitté de ce devoir si les maladies continuelles qui m’accablent me l’avaient permis.

J’ai l’honneur d’être, avec la plus respectueuse reconnaissance, etc.

  1. Mme d’Épinay.
  2. Éditeurs, de Cayrol et François.