Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/382

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Il me semble que ma lettre est bien médicale ; mais pardonnez à un malade qui parle à un convalescent. Si je pouvais faire jamais une petite course dans votre royaume de Cathai, vous et le soleil de Languedoc, mes deux divinités bienfaisantes, vous me rendriez ma gaieté, et je ne vous écrirais plus de si sottes lettres. Mais que pouvez-vous attendre du mont Jura, et d’un homme abandonné à des jardiniers savoyards et à des maçons suisses ? Mme Denis est toujours, comme moi, pénétrée pour vous de l’attachement le plus tendre. Elle l’exprimerait bien mieux que moi ; elle a encore tout son esprit ; les Alpes ne l’ont point gâtée.

Conservez vos bontés, monseigneur, à ces deux Allobroges qui vivent à la source[1] du Rhône, et qui ne regrettent que les climats où ce fleuve coule sous votre commandement. Le Rhône n’est beau qu’en Languedoc. Je vous aimerai toujours avec bien du respect, mais avec bien de la vivacité, et je serai à vos ordres si je vis.


2912. — DE LOUIS-EUGÉNE,
prince de wurtemberg.
À Paris, le 2 mai.

Le porteur de cette lettre, monsieur, est un garçon auquel je m’intéresse sincèrement. Il s’appelle Fierville[2], et il est attaché à la cour de Son Altesse royale Mme la margrave de Baireuth. C’est un très-bon acteur, et qui s’est surtout appliqué à remplir les rôles principaux de vos tragédies. Il vous a étudié avec beaucoup de soin, et il m’a demandé une lettre pour vous, que je lui ai accordée avec bien du plaisir.

Je suis dans la douleur la plus profonde. Naguère que d’Han…[3], par sa mauvaise conduite, s’est montré indigne de l’opinion que j’avais conçue de lui : je dis mauvaise conduite, pour n’en pas dire plus ; et aujourd’hui je viens de perdre un ami qui était le vôtre ; un homme dont les connaissances étaient aussi étendues, le génie aussi élevé que son âme était simple. M. de Lironcourt est mort. Je l’ai toujours regardé comme une machine merveilleuse ; toute la nature était rassemblée dans sa tête. Ô vous qui êtes sensible, jugez de mon affliction ! il est mort le moment après m’avoir rendu

  1. Immédiatement après Genève, le Rhône, qui traverse cette ville, semble tirer sa source du lac Léman : mais c’est au contraire celui-ci qu’alimente le Rhône, dont la source prend naissance au pied du mont Furca, sur les confins du Valais, du canton de Berne, et de celui d’Uri. (Cl.)
  2. Lettre 2942.
  3. Sage, qui venait de voler la vaisselle d’argent du prince de Wurtemberg. Voyez les lettres 2928 et 2988.