Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/395

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ici, ne pût être encore copié furtivement. N’en ayez donc aucune inquiétude, et soyez bien assuré que les intérêts de votre tranquillité et de votre amour-propre ne seront pas compromis, quand je serai assez heureux pour y pouvoir quelque chose.

Il n’y a que le premier chant de ce poëme qui soit connu ici ; et encore y a-t-il très-peu de gens qui l’aient : je n’ai pas entendu dire que les autres eussent été vus. Le très-petit comité où j’en ai lu quinze chants complets en a admiré l’imagination, la poésie, les images ; mais on a trouvé quelques endroits que vous retoucherez sans doute, qui peut-être sont, déjà corrigés, et qui ne sont pas du ton de décence et d’agrément que l’on retrouve si généralement dans tous vos ouvrages. Tout le monde s’est accordé à dire que celui-ci ne devrait pas être imprimé, ni même trop universellement répandu pendant la vie de son auteur, et que ce serait vous rendre un très-mauvais office que de le donner au public. Pardonnez donc, sans vous en alarmer, mon ancien ami, les fragments qui peuvent courir ; leur peu de correction sera toujours la prouve qu’ils ne viendront pas de vous ; mais que l’amour de la paternité et l’envie de produire cet enfant, affranchi de tous les défauts qu’on pouvait lui prêter, ne vous engage jamais à le mettre dans le monde : c’est un conseil que mon amitié ose vous donner avec la liberté que vous lui avez accordée autrefois.

Je souhaite bien sincèrement que vous jouissiez longtemps du beau lieu que vous habitez : il ne tient qu’à vous, mon bon ami, de le rendre le délice des autres : puisse-t-il toujours en être un pour vous ! personne ne le désire plus que moi. Je suis enchanté d’avoir reçu des marques de votre souvenir ; je ne les dois qu’à vos terreurs ; mais je ne les en chéris pas moins. Je vis ici avec vos admirateurs, et vous admireriez et chanteriez vous-même cet établissement[1], si vous pouviez le voir de près : cela est-il sans espérance ? M. le chevalier de Croismare, qui y commande en chef, me charge de vous faire ses compliments ; il assure Mme Denis de ses respects : je m’acquitte du même devoir, et je vous prie d’être persuadé que je serai toute ma vie, avec un attachement bien tendre et des sentiments que j’ai conservés malgré bien des circonstances, et qu’il ne tiendra qu’à vous d’entretenir, etc.


2926. — À M. LE COMTE D’ARGENTAL.
Au Délices attristées, 4 juin.

Mon divin ange, nos cinq actes, notre Idamé, notre Gengis, iront bien mal tant que je serai dans les angoisses de la crainte qu’on n’imprime ce malheureux vieux rogaton si défiguré, si imparfait, si tronqué, si désespérant. Je voudrais du moins que vous en eussiez un exemplaire au net, bien complet, bien corrigé,

  1. L’École militaire, dont, Darget était l’intendant, et qui fut le sujet de l’ouvrage de Marmontel intitulé l’Élablissement de l’école militaire, poëme héroïque. 1757, in-8°. (B.)