Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome38.djvu/396

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bien gai (puisqu’il fut autrefois si gai), bien honnête, ou moins malhonnête. Je voudrais que M. de Thihouville l’eût de cette façon. Je voudrais vous l’envoyer, soit par M. de Chauvelin[1], soit par quelque autre voie, telle qu’il vous plairait. Il me semble que la seule ressource est de faire un peu connaître la véritable copie, pour étouffer l’autre. Encore une fois, de deux maux il faut éviter le pire ; et le plus grand des maux est la crainte. Non, il y en a un encore plus grand, c’est de voir mes amis offensés par des rapsodies qui courent sous mon nom. Votre dernière lettre à Mme Denis, et toutes celles que nous recevons, nous confirment le danger. Je suis réduit à souhaiter que cette plaisanterie de trente années soit connue, toute opposée qu’elle est aujourd’hui à mon âge et à ma situation. Elle n’est guère que plaisanterie, et, quand on rit, on ne trouve rien mauvais. Adieu, mon divin ange, je suis entre l’enclume et le marteau, entre la Chine et Grisbourdon ; et je me mets en tremblant sous les ailes de mes anges.


2927. — À M. POLIER DE BOTTENS.
Aux Délices, le 4 juin.

Il y a bien des façons d’être malheureux, mon cher monsieur ; la plus belle est de l’être comme vous, par la générosité et la bonté de votre cœur, et de ne souffrir que pour les autres. La plus cruelle est de souffrir par soi-même, de devenir tous les jours inutile à la société, et de voir périr son âme en détail dans le délabrement du corps. Voilà mon état, monsieur, et voilà ce qui m’a empêché jusqu’ici de venir à Monrion. Si monsieur votre frère[2] vous ressemblait, c’est une très-grande perte, et je vous assure que je la sens très-vivement. Le monde a besoin de gens comme vous.

Cette petite bagatelle[3] dont vous me parlez a été imprimée sur d’assez mauvaises copies qui en ont couru ; il n’y a pas grand mal. Un nommé Grasset, qui est actuellement à Lausanne, a été sur le point de me jouer un tour plus cruel. M. de Brenles a dû vous en instruire, et je suis persuadé que vous aurez en ce cas prêché la vertu à ce Grasset. On dit qu’il avait besoin de vos

  1. Voyez la lettre 2892.
  2. C’était probablement un capitaine d’infanterie, gendre du général comte de Zastrow. (Cl.)
  3. L’Épître sur le lac de Genève, citée dans la lettre 2931.